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Quelques remarques sur le secret professionnel des interprètes

Dans la torpeur de l’été, le sommet américano-russe qui s’est déroulé à la mi-juillet à Helsinki, a été à l’origine d’un débat inattendu sur le secret professionnel des interprètes. En réaction aux propos que le Président américain aurait – ou n’aurait pas – tenus au cours de ce sommet, certains membres démocrates du Congrès ont demandé l’audition de l’interprète du Ministère américain des affaires étrangères (State Department) afin que celle-ci rapporte la teneur exacte des entretiens.

Rappel des faits : dans la capitale finlandaise, les deux présidents Trump et Poutine se sont entretenus pendant deux heures. Seuls deux interprètes étaient présents à leurs côtés et les démocrates estiment que la femme qui a traduit les propos de M. Poutine pour M. Trump –et a vraisemblablement pris des notes– pourrait détenir des informations cruciales sur ce qui s’est dit entre eux. « Nous voulons que l’interprète vienne devant la commission. Nous voulons voir les notes », a dit à MSNBC le sénateur démocrate Bob Menendez, membre de la commission des affaires étrangères.

interprète trump

Face à cette demande, on est tenté – à juste titre – d’opposer les articles des différents codes éthiques et déontologiques qui encadrent la profession d’interprète-traducteur un peu partout dans le monde et qui traitent du secret professionnel.

Deux exemples :
– l’article 2, al. 1, du Code d’éthique professionnelle de l’Association Internationale des Interprètes de Conférence (AIIC), seule organisation représentative de la profession au niveau mondial : « Les membres de l’Association sont tenus au secret professionnel total et absolu. Celui-ci doit être observé à l’égard de quiconque et concerne tout ce qui a été appris dans l’exercice de la profession à l’occasion de réunions non publiques. »
– l’article 1 du titre premier du Code éthique de l’AFILS (association française des interprètes en langue des signes) : « L’interprète est tenu au secret professionnel total et absolu comme défini par les articles 226-13 et 226-14 du nouveau code pénal dans l’exercice de sa profession à l’occasion d’entretiens, de réunions ou de conférences non publiques. L’interprète s’interdit toute exploitation personnelle d’une quelconque information confidentielle.
Le partage du secret ne peut se faire qu’entre interprètes intervenant sur une même affaire, dans l’intérêt du déroulement de la traduction ou de l’interprétation. Les personnes concernées en sont informées lorsque rien ne l’empêche. »

On l’a déjà écrit ici, le but premier du secret professionnel est de protéger le « propriétaire » du secret. Lors d’une consultation médicale, le patient, dans le cas des interprètes ce sont les personnes interprétées, qu’il s’agisse de chefs d’Etat, de diplomates, d’agriculteurs, de designers, de journalistes, de consultants en informatique etc, ou de toute autre catégorie de personnes et professions.

Bien sur, ce secret pourra être levé si l’interprète est, dans l’exercice de son métier, témoin d’un projet de crime ou d’un délit qui, s’il se taisait pourrait être assimilé à une non-dénonciation voire une complicité.
Cependant dans le cas présent, malgré tout le mal qu’on peut penser des politiques nationales et internationales des présidents Trump et Poutine, l’interprète ne se trouve pas dans cette situation et il est inimaginable qu’elle raconte à des journalistes ou des politiques la scène à laquelle elle a participé.

Le secret professionnel est la condition première pour qu’une discussion puisse avoir lieu entre deux parties : avoir confiance dans le professionnel qui traduit et être sur que ses propos ne seront pas divulgués à l’extérieur auprès de personnes n’ayant pas assisté à la réunion. Sans ce principe, aucune rencontre, réunion ne pourrait se dérouler librement en présence d’interprètes, chacun des participants redoutant que ces intermédiaires ne divulguent sur la place publique les propos confidentiels qui auront été échangés.

Pour les interprètes en langue des signes cette règle est d’autant plus importante que nous entrons régulièrement dans l’intimité des personnes sourdes (rendez-vous médical, dans une banque pour l’obtention d’un prêt, chez le notaire pour une succession, au commissariat pour un dépôt de plainte…). C’est d’ailleurs une différence essentielle de notre profession avec celle des interprètes en langues vocales (anglais, russe, chinois…) qui interviennent essentiellement en milieu professionnel.
Il n’est déjà pas facile d’aborder certains sujets intimes en présence d’une tierce personne (l’interprète en l’occurrence). Alors comment imaginer avoir une communication libre et franche par le truchement d’un interprète si on n’est pas sûr que ce dernier n’ira pas répéter ailleurs la conversation ?

Plus généralement, le principe du secret professionnel est consacré dans les législations de nombreux pays. A titre d’exemple, on mentionnera l’article 226-13 du Code pénal français :

 La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. – ou l’article 458 du Code pénal belge –  Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice (ou devant une commission d’enquête parlementaire) et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de cent euros à cinq cents euros.

Hélas, penser que le problème du secret professionnel chez les interprètes serait facilement réglé car encadré par cet article est illusoire. En effet, certains juristes, mais aussi des collègues interprètes, considèrent que notre profession n’est pas concernée par cet article du Code pénal.
Ils soulignent que la profession d’interprète (ou de traducteur) n’est pas une profession d’Etat, qu’il n’y a pas d’Ordre qui régissent notre activité (comme chez les médecins ou les avocats). Nous ne serions légalement soumis au secret professionnel que si nous traduisions une réunion en présence d’une personne soumise légalement à ce secret (médecin avocat…).
Ou si l’interprète est « expert traducteur interprète (ETI) » ces derniers étant un officiel ministériel donc une profession réglementée et protégée qui est soumise au respect du secret professionnel.

Pour revenir à notre collègue placée quelques jours sous les feux de l’actualité on peut craindre de voir désormais se multiplier de telles demandes d’audition d’interprètes dans un monde où un secret quel qu’il soit est une source de frustration pour quiconque n’en a pas connaissance. L’imagination des politiques et des médias ne connaissent pas de limites pour y parvenir.

[Récemment, un journaliste d’un hebdomadaire m’a contacté pour avoir accès aux conversations intimes d’un couple royal : mélangeant un peu tout (peut-être) ou n’ayant pas du tout préparer son sujet (sans doute) il pensait qu’à force de fréquenter des sourds j’avais développé une compétence particulière à la lecture labiale et que je pourrais tout lui raconter. Un extrait de son mail :

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Pour ceux qui ne lisent pas Point de Vue, il s’agissait du mariage d’Harry et Meghan.]

Plus sérieusement, comme le suggère Edgar Weiser, Président de l’Association Danica Seleskovitch, le moment est sans doute venu de réfléchir aux moyens de protéger les interprètes de la même façon dont les journalistes bénéficient d’un régime de protection de leurs sources dans les pays démocratiques. On pourrait imaginer une convention internationale (dans le cadre de l’ONU par exemple) ayant pour objet de protéger les interprètes contre toute action visant à mettre en cause le secret professionnel qui constitue le fondement déontologique le plus important de cette profession.

En attendant, le meilleur conseil qu’on puisse donner est de toujours faire appel à des interprètes professionnels diplômés. Nous avons passé de nombreuses heures à étudier et comprendre les enjeux du code déontologique qui régisse notre profession et nous avons pleinement conscience que le respect des interlocuteurs passe d’abord par le respect de leur discours, qui n’appartient pas à l’interprète, celui ci-se contentant (c’est déjà beaucoup) de le transmettre dans une autre langue puis de l’oublier aussitôt afin de ne jamais le révéler.
Cet engagement moral est sans doute plus fort que toute contrainte légale.

L’interprétation de liaison

Les interventions des interprètes en langue des signes sont classées en 3 groupes ou situations : l’interprétation de conférences, l’interprétation de réunions ou de formations, l’interprétation de liaisons. Enfin une dernière a fait son apparition depuis quelques années : la visio-interprétation.

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Une interprétation est dite « de liaison » lorsque l’interprète intervient, seul, entre deux ou trois personnes dans le cadre d’une démarche individuelle. Il peut s’agir d’un entretien lié à l’emploi (embauche, licenciement, entretien individuel annuel…) ou à la vie courante (achat immobilier, médecin, avocat, banque, MDPH…).

L’interprétation de liaison suppose une grande polyvalence et une vigilance accrue sur son comportement, ses attitudes.

C’est dans les rencontres individuelles que la notion de « transparence » de l’interprète est la plus difficile à maintenir, du fait du petit nombre d’interlocuteurs. Comme le souligne l’AFILS : « La transparence est l’objectif à atteindre. Elle signifie que les locuteurs en présence ont instauré une relation telle que la présence de l’interprète est oubliée.  Savoir s’effacer requiert une grande compétence technique et une bonne stabilité émotionnelle ».

Par ailleurs dans de nombreuses situations de liaison la responsabilité de l’interprète est majeure. En effet, une erreur d’interprétation en milieu médical (une mauvaise traduction des doses d’un médicament à prendre par exemple) peut avoir de lourdes conséquences sur la santé de la personne sourde.

D’autres situations telles que les oraux d’examens, les entretiens d’embauche ont une incidence sur la vie future des personnes pour qui nous traduisons. Il ne s’agit donc pas de que la personne « rate » son examen ou face une mauvaise impression au DRH par la seule faute d’un interprète maladroit. Sans parler des gardes à vue ou des entretiens judiciaires où une simple erreur dans notre traduction peut prendre une tournure dramatique.

Outre ces situations délicates, l’interprète doit faire preuve d’une grande assurance et installer une relation de confiance avec les personnes qui s’expriment, la présence d’une tierce personne extérieure à la conversation étant forcément déstabilisant. Pour cela l’interprète en langue des signes doit respecter scrupuleusement de la déontologie de son métier et avoir une attitude appropriée à la situation (vêtements, mimiques, conventions de politesse, etc.). Ce comportement contribue à la notion de transparence que nous avons vue précédemment.

Les spécificités de ce type de communication répondent aussi à des critères stricts. Par exemple l’interprète doit se placer physiquement à une place bien précise, afin d’être le moins présent possible dans les échanges. C’est pourquoi une situation triangulaire est à proscrire. La triangulation signifie que l’interprète est dans le cercle de la communication et que tous les interlocuteurs se voient. Or, il n’est pas nécessaire que la personne entendante voit l’interprète. En conséquence, on se place face à la personne sourde et à proximité de la personne entendante, en étant légèrement en retrait. Ceci afin d’éviter que l’interlocuteur entendant s’adresse directement à l’interprète.

Dans les échanges l’interprète a la possibilité, contrairement aux situations de conférences, d’intervenir lorsqu’une information n’est pas traduite, suite à un débit de paroles important ou lors d’une incompréhension. Néanmoins l’interprète doit, dans sa demande, être bref et explicite afin de ne pas perturber le déroulement de l’entretien. Ces interventions techniques de l’interprète sont particulièrement importantes en situation de liaison. Elles sont désignées sous le terme général de « pilotage » qui renvoie au que l’interprète est le seul responsable de la gestion de sa traduction.

Les spécificités de l’interprétation de liaison tiennent souvent moins aux situations qu’à leur aspect inédit pour les entendants  et elles ont probablement un caractère exceptionnel pour nos homologues en langues orales (anglais, russe, chinois, turc…). En effet nous entrons dans la vie intime des personnes, nous avons une connaissance de leur histoire, de leurs relations, de leurs bonheurs ou malheurs. Cette intimité peut même être éprouvante comme lors de consultations médicales où le médecin annonce à son patient qu’il est atteint d’un cancer où quand l’assistante sociale déroule les épreuves de la vie rencontrée par une famille sourde.

Il faut aussi être clair dans son rôle d’interprète et ne pas se laisser déstabiliser par les apartés, les questions que vous pose souvent la personne entendante mettant de coté la personne sourde avec qui il est pourtant sensé discuter : « comment faites-vous pour traduire… ou vous pourriez lui expliquer… ou encore à votre avis est-ce-qu’il va pouvoir… ».

Enfin, la dernière particularité concerne l’équilibre de traduction vers les deux langues. D’une manière générale, sauf en situation de liaison, nous travaillons beaucoup du français vers la langue des signes. L’inverse (vers le français) est souvent ressenti comme une difficulté par les interprètes. En effet, une des caractéristiques de la LSF est justement la simultanéité des informations qui peuvent être contenues dans un « signe ». Par exemple, Paul Jouison, dans son étude des verbes de déplacement en LSF note : « La mise en évidence de la structure simultanée entraîne une constatation : (…) nous avons rencontré au sein d’un même signe le sujet de l’action, le nombre de sujets, la durée, le lieu, etc. … » Une telle quantité d’informations est difficile à exprimer en un seul mot.

En raison des enjeux personnels, sociaux, professionnels, médicaux ou autres que comportent les situations de liaison, l’interprète entre bien souvent dans l’intimité des interlocuteurs. Le respect de la déontologie est donc capital. L’interprète doit avoir un comportement de neutralité irréprochable, une fidélité au discours sans faille et conserver strictement le secret professionnel. Bien que sur la forme elle paraisse plus accessible que l’interprétation de conférence ou de réunion, en ce qui concerne le fond de l’interprétation de liaison requiert de la part de l’interprète une grande rigueur déontologique.

On peut ne pas être convaincus par cette catégorisation (conférence, réunion, liaison) qui existe essentiellement pour établir le tarif de notre vacation (en moyenne 130€ pour une interprétation de liaison). En effet rien ne dit qu’interpréter une conférence fut-elle extrêmement pointue ou technique soit plus difficile que de traduire une réunion de travail où tout le monde parle en même temps ou encore des situations complexes où l’affectif est très présent comme des rendez-vous médicaux ou sociaux.

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Un dernier exemple d’interprétation de liaison que j’ai vécu pour vous en convaincre :

Une patiente, sourde, est reçue par un médecin du service de cancérologie. Un peu perdue, elle est ici pour qu’il lui remette les dates de sa prochaine hospitalisation en vue d’une nouvelle série de traitements et notamment des séances de chimiothérapie. À la question du médecin (que je traduis) « comment allez-vous ? », elle se lance dans un long monologue cherchant à faire comprendre que ça ne va pas bien, qu’elle n’a plus faim, qu’elle perd un peu la tête, la preuve, elle a failli oublier la date du rendez-vous, elle mélange les jours de la semaine…

Durant ce temps, le médecin, qui ne semble pas l’écouter (là c’est un jugement subjectif de ma part) remplit des fiches sur les futurs traitements. Puis il relève la tête vers elle, l’interrompt et lui demande si elle pense partir en vacances avant son admission. Elle explique que non, car elle est seule, sans enfant… Bref cette femme cherchait à communiquer ses angoisses et ses interrogations à son praticien qui manifestement s’en fichait, volontairement ou pas. À la fin il lui dit simplement : « parfait, on se revoit le 17 pour le traitement, tout ira bien ». Puis il lui remet deux ordonnances presque identiques sans lui expliquer que l’une est pour l’hospitalisation et l’autre pour un traitement à prendre quelques jours avant. Et il nous salut puis nous indique la porte pour sortir.

Dans ce cas présenté, l’interprétation du rendez-vous médical n’était pas techniquement difficile à traduire. En revanche, en tant qu’interprète (et personne humaine) on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine empathie pour tel ou tel usager et sa nécessaire position de neutralité peut troubler parfois son affect en lui donnant le sentiment d’abandonner la personne à son sort (il aurait été tellement plus facile d’aller voir cette dame après la consultation et de lui dire : « attendez je vais tout vous expliquer », de prendre la posture de l’interprète-sauveur).
Le rôle de l’interprète en situation de liaison n’est pas de sonder les corps et les âmes, d’essayer de comprendre les intentions de chacun (dans ce cas il courrait à la catastrophe se trompant régulièrement dans ses analyses). Il est juste là pour traduire des propos en interférant le moins possible des les échanges.

Il faut s’y tenir car, en dehors de toutes les justifications professionnelles et déontologiques, c’est aussi pour lui un moyen de se protéger, d’éviter un trop grand sentimentalisme qui pourrait perturber sa rigueur, son professionnalisme.

7 conseils pour bien accueillir un interprète en langue des signes

Il y a quelques mois je vous proposais 7 astuces pour martyriser un interprète en langue des signes.

Aujourd’hui, plus sérieusement, voici quelques conseils sous forme de 7 questions/réponses pour vous permettre d’accueillir et de travailler en bonne harmonie avec un interprète en langue des signes.

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Pour cela, imaginons que dans quelques jours vous participez à une petite réunion ou un entretien individuel en présence d’un ami, d’un collègue, d’un usager sourd.

La présence d’un interprète F/LSF n’étant pas habituelle, vous allez immanquablement vous poser des questions comme :

1- Ai-je vraiment besoin d’un interprète en langue des signes ?

Oui si la langue première (ou maternelle) de la personne sourde est la langue des signes.
Mais être sourd ne signifie pas automatiquement être locuteur en langue des signes. En effet, au sein de la communauté sourde se trouve des profils variés, il n’y a pas un type de sourd comme il n’y a pas un type d’entendant : ça va des sourds légers aux sourds profonds, des nés sourds aux devenus sourds…
Pour certains sourds leur langue d’apprentissage et d’expression naturelle est la LSF (le français écrit n’ayant été acquis que plus tard, comme une langue étrangère), d’autres en revanche ont été éduqués dans l’oralisme et s’expriment plutôt en français en utilisant la lecture labiale.
Néanmoins il faut savoir que la lecture labiale (pour les sourds appareillés par exemple), ne fonctionne que si les deux interlocuteurs sont face à face. De plus elle exige une concentration intense, elle fatigue rapidement. D’ailleurs on ne comprend que 25 à 30% du message, le reste du discours étant reconstruit grâce au contexte, à l’ingéniosité du sourd…

D’autres encore préféreront peut-être passer par l’écrit. Mais c’est long, ça manque de réactivité c’est plus laborieux.

Il est donc important de demander à la personne sourde dans quelles conditions elle souhaite que se déroule l’entretien ou la réunion, en utilisant quel mode de communication pour éviter de faire venir un interprète en langue des signes pour rien.

Par chance, dans le cas présent, la langue maternelle de votre collaborateur sourd est la langue des signes française (que vous ne pratiquez pas). C’est pourquoi vous avez pensé à réserver un interprète F/LSF diplômé. Bravo !

2- Faut-il installer l’interprète en langue des signes dans une pièce spécialement aménagée ?

Non, et contrairement à mes collègues interprètes en langues orales nous n’avons pas besoin de cabines ou de casques audios.
Il faut juste vérifier quelques détails en se rappelant simplement que la communication entre la personne sourde et l’interprète s’établissant via le regard, c’est lui qu’il faut privilégier (ou protéger).
Ainsi on évitera de placer l’interprète devant un mur bariolé (façon arc-en-ciel) ou couvert de tableaux reproduisant des oeuvres de Picasso, Miro ou Nicolas de Stael. Le mieux est de le placer devant un fond uni pas trop clair.
Idem, on n’installera pas l’interprète dos à une fenêtre la personne sourde en le regardant risquant d’être éblouie, gênée par le contre-jour.
La pièce doit être bien éclairée (lumière naturelle ou artificielle). S’il est prévu de projeter des documents ou un film non sous-titrés (que l’interprète devra donc traduire), pensez, si vous diminuer l’éclairage, à garder un point lumineux sur l’interprète pour qu’il puisse être vu.

3- Dois-je m’asseoir en face de l’interprète ?

Non, à coté.
En effet, la personne sourde doit être assise face à l’interlocuteur principal l’interprète s’asseyant à coté de ce dernier. Il est important que la personne sourde puisse voir celui ou celle qui s’exprime tout en ayant accès à la traduction.
Dans tout discours, vous adressez deux messages bien distincts à votre auditoire. Le premier par votre voix (ou les signes via l’interprète), le second par votre apparence, vos attitudes et vos mouvements. Or, des recherches ont montré  que plus de la moitié des communications humaines se fait de façon non verbale. Lorsque vous parlez devant un groupe, vos auditeurs jugent le message et le messager. Les personnes sourdes doivent également avoir accès à ces informations en vous regardant tout en recevant la traduction du discours.

4- L’interprète peut-il m’aider durant l’entretien ?

Non, car il est uniquement là pour permettre une communication fluide, totale et sans malentendus entre sourds et entendants. Aussi, durant sa prestation évitez de lui poser directement des questions sur son métier, son parcours, la surdité ou de lui demander un conseil car il ne pourrait pas en même temps traduire et répondre à vos question.
En outre comme le précise son code déontologique article 3, il est neutre : « L’interprète ne peut intervenir dans les échanges et ne peut être pris à partie dans la discussion. Ses opinions ne doivent pas transparaître dans son interprétation ». 

En revanche une fois l’entretien fini vous pourrez bien sur lui poser toutes les questions que vous voudrez et, en accord avec la personne sourde, il se fera un plaisir de satisfaire votre curiosité.

5- Dois-je parler lentement ?

Non.
Parlez exactement comme vous le faites habituellement, essayer d’oublier la présence de l’interprète. On pense à tort que les langues gestuelles seraient plus lentes à exprimer des idées… C’est faux, en deux signes on peut parfaitement traduire une phrase de plusieurs mots.
Simplement s’il y a de nombreux noms propres ou autres sigles pensez à les épeler pour être sur que l’interprète les dactylologiera correctement.
Et s’il rencontre la moindre difficulté à comprendre votre discours ou si vraiment vous parlez trop vite, il n’hésitera à vous arrêter pour vous demander des éclaircissements.
Nous avons un devoir de fidélité dans l’interprétation. C’est à dire que nous devons tout traduire. Si nous ne vous comprenons pas ou que nous n’avons pas eu le temps de traduire la liste complète des nouveaux embauchés on vous demandera très gentiment de bien vouloir répéter.

D’ailleurs cette obligation de fidélité fera que nous signalerons tous les événements sonores qui pourraient se produire durant la réunion : le téléphone de l’un qui ne cesse de sonner et qui perturbe tout le monde, la perceuse électrique dans la pièce d’à-coté, le coup de tonnerre qui fait sursauter tout le monde…

6- Puis-je faire confiance à l’interprète F/LSF ?

Oui, vous pouvez tout dire, évoquer les secrets industriels de votre entreprise, délivrer des informations médicales, révéler une stratégie ultra-confidentielle pour faire couler une société concurrente etc, il ne répétera rien.
Tous les interprètes en langue des signes ayant suivi un des 5 cursus universitaires reconnus par l’Afils, respectent le secret professionnel qui leur est imposé ainsi que le stipule l’article 1 du code déontologique de l’Afils (Association Française des Interprètes en Langue des Signes) : « L’interprète est tenu au secret professionnel total et absolu dans l’exercice de sa profession à l’occasion d’entretiens, de réunions ou de conférences non publiques. L’interprète s’interdit toute exploitation personnelle d’une quelconque information confidentielle ».

7- Un interprète peut-il traduire 2 heures sans prendre de pause ?

Non car ce n’est pas une machine.
Généralement on considère que pour garantir une interprétation de qualité un interprète ne peut travailler plus de 50mn d’affilées. Donc, si votre réunion doit durer une heure et demi / deux heures il faudra prévoir une pause d’une dizaine de minutes pour qu’il puisse reposer ses mains et son cerveau. Si la réunion doit durer plus de 2 heures ou que vous ne pouvez pas aménager de pause alors vous devrez prendre 2 interprètes qui se relaieront toutes les 15mn environ.

Et si, cerise sur le gâteau, le matin vous l’accueillez en lui proposant un café et quelques viennoiseries ou, en fin d’après-midi vous lui servez une coupe de champagne accompagnée de petits fours soyez assurés qu’il vous sera éternellement reconnaissant de cet accueil chaleureux.

5 formations pour devenir interprète en langue des signes

[ un article plus récent sur le même thème avec 
des liens mis à jour est disponible  ici ]

Régulièrement, dans les commentaires postés par les lectrices ou lecteurs de ce blog, on me reproche de dénigrer les interfaces, voire d’être insultant à leur égard.

Il est vrai que je suis mal à l’aise avec cette activité qui n’est encadrée par aucun diplôme, ni aucune formation. On y voit donc tout et souvent n’importe quoi.
Néanmoins, si des personnes veulent apprendre la langue des signes pour ensuite aider accompagner des personnes sourdes dans leurs démarches administratives, les guider dans les méandres des procédures judiciaires, leur expliquer le fonctionnement de Pôle Emploi, pourquoi pas ?
En revanche, il est malhonnête de s’auto-proclamer interprète en langue des signes uniquement parce qu’on pratique cette langue et d’endosser ce rôle d’interprète comme le font parfois des interfaces.

C’est pourquoi si vous souhaitez exercer la profession d’interprète Français/Langue des Signes Française, vous devez posséder l’un des diplômes requis.
En effet, avoir un bon niveau en langue des signes est une condition nécessaire mais pas suffisante pour devenir interprète. Pour exercer ce métier il faut suivre une formation de cinq années après le bac où en plus de parfaire votre expression en LSF et en français (qui sont les deux langues de travail), vous apprendrez à connaitre, comprendre et appliquer le code éthique (secret professionnel, fidélité, neutralité), vous étudierez  différentes stratégies d’interprétation (par exemple à vous décaler du discours original) , vous découvrirez ce que signifie déverbaliser, vous vous familiariserez avec la théorie des efforts…
De plus, de longues périodes de stage pratique auprès d’interprètes diplômés vous permettront d’acquérir les bases de ce métier.

Aujourd’hui en France 5 universités délivrent un diplôme d’interprète F/LSF reconnu pas l’AFILS (Association Française des Interprètes Traducteurs en Langue des Signes).

Dans un mois débuteront les inscriptions alors si vous êtes tentés par ce métier, consultez les sites internet de ces universités et n’hésitez pas à les contacter pour d’autres informations.
Généralement pour postuler à l’examen d’entrée, on vous demande en plus de solides compétences en français et LSF, de posséder une licence, quelque soit sa spécialité.

carte formations

Université Paris 3 (ESIT) :
Centre Universitaire Dauphine (2ème étage)
Place du Maréchal de Lattre de Tassigny 75016 PARIS
Tel : 01 44 05 42 14
Lien vers le site Internet

Université Vincennes Saint-Denis (Paris 8) : 
2 rue de la Liberté 93526 SAINT-DENIS
Bât A, salle 144
Tel : 01 49 40 64 18
Lien vers le site Internet

Université de Toulouse Le Mirail (CETIM) :
Bâtiment 31- bureau LA 16
5 allées Antonio Machado 31058 TOULOUSE Cedex 9
Tel : 05 61 50 37 63
Lien vers le site Internet

Université Charles de Gaulle (Lille 3) :
UMR STL–bâtiment B
B.P. 60149 59653 VILLENEUVE D’ASCQ CEDEX
Tel : 03 20 41 68 87 ou 03 20 41 69 36
Lien vers le site Internet

Université de Rouen : 
rue Lavoisier
76821 Mont-Saint-Aignan Cedex
Tel : 0235146000
Lien vers le site Internet

Merci à Antony pour la carte

© Stéphan – ( i ) LSF

Présentation du métier d’interprète en langue des signes

Il me semble intéressant en ce début d’année (et aussi pour répondre collectivement aux nombreux mails que je reçois qui me questionnent sur mon métier) de rédiger une présentation synthétique du métier d’interprète en langue des signes française.

Métier ILS

1/ Son rôle
L’interprète est un professionnel formé aux techniques d’interprétations et diplômé. Il intervient aussi bien pour les personnes sourdes que pour les personnes entendantes en interprétant tous les échanges. C’est un pont linguistique et culturel entre deux communautés, celle des sourds et celle des entendants.
Il est bien sûr bilingue et biculturel (il est indispensable d’avoir une excellente connaissance de la culture sourde).
Il favorise aussi l’accessibilité à la vie quotidienne, professionnelle, sociale, culturelle et citoyenne des personnes sourdes qui s’expriment en langue des signes (française en l’occurrence).

Contrairement aux interprètes de langue vocale qui ne travaillent généralement que vers une langue, l’interprète en langue des signes travaille « dans les deux sens » :
il interprète les discours émis en français (oral) vers la langue des signes ou les discours émis en langue des signes vers le français (oral).
Il traduit les textes écrits en français vers la LSF et les discours signés en LSF vers le français écrit.

L’interprète respecte le code éthique de sa profession tel qu’il a été défini par l’Association Française des Interprètes/Traducteurs en Langue des Signes (AFILS). Les 3 règles principales sont :

  • le secret professionnel : l’interprète est tenu au secret professionnel, il s’interdit toute exploitation personnelle d’une information confidentielle ;
  • la fidélité : l’interprète se doit de restituer le plus fidèlement le message en présence des parties concernées ;
  • la neutralité : l’interprète ne peut intervenir dans les échanges et ne peut participer à une conversation qu’il traduit. Il est particulièrement vigilant à rester neutre, aussi bien durant toutes les situations d’interprétation que durant les moments plus informels (pause-café par exemple).

2/ Ses différents types d’interventions
Nous interprétons des situations :

  • de liaison (rendez-vous professionnel, social, médical, juridique) ;
  • de réunion (entreprise, administration, réunion d’équipe) ;
  • de formation (milieu scolaire, universitaire, professionnel) ;
  • de conférence (Assemblée générale, séminaire, colloque, débat public, meeting) ;

L’interprète peut aussi intervenir en milieu artistique (visite de musées) , religieux (mariage, enterrement) ou à la télévision (traduction des journaux télévisés).
Il peut également interpréter à distance, via la visio-interprétation, afin de relayer un appel téléphonique entre un sourd et un entendant.

L’interprète peut refuser une intervention si, pour une raison éthique ou personnelle, il sent que sa prestation ne sera pas conforme à son code déontologique.

A noter : afin de fournir une interprétation optimale, un temps de préparation est indispensable. L’interprète (qui se doit bien sûr de déjà posséder une excellente culture générale) sollicite les intervenants en amont de ses interventions afin de recueillir des informations relatives au contenu des échanges et tout document susceptible de l’aider à améliorer et/ou faciliter sa prestation.

3/ L’organisation de son travail
Un interprète peut travailler :

  • en indépendant : auto-entrepreneur ou profession libérale ;
  • au sein d’un service d’interprètes en langue des signes comme salarié ou vacataire ;
  • au sein de diverses structures nécessitant les services d’un ou plusieurs interprètes comme les Instituts de Jeunes sourds, des établissements spécialisés, des structures hospitalières…

Une journée de travail correspond à 2 vacations (matin, après-midi ou soir) soit 4 heures d’interprétation effective.
En effet, afin de garantir une interprétation de qualité, le nombre d’heures maximum d’interprétation consécutive est de 2h par demi-journée (une pause de 10mn étant à prévoir à l’issue de la 1ère heure d’intervention).
Dans les situations nécessitant plus de 2 heures d’interprétation consécutive ou si l’aménagement d’une pause entre les 2 heures n’est pas possible, lors d’une conférence par exemple) un 2ème interprète est nécessaire selon deux modalités possibles :
– les 2 interprètes sont présents durant la période d’intervention avec un relais toutes les 15 à 20mn
– un interprète intervient seul pendant la première heure puis un 2ème interprète lui succède pour l’heure suivante (avec une présence conjointe en amont d’au moins 15mn, permettant d’assurer un passage de relais satisfaisant).

Bien que neutre et n’intervenant pas durant les échanges, l’interprète peut être amené à conseiller sur la situation d’interprétation pour garantir les bonnes conditions à son intervention telles que : configuration du lieu, organisation de la situation de communication, placement des différents intervenants, recadrage lorsque son rôle n’est pas bien compris avec si besoin explication des règles déontologiques, etc.

Il peut également endosser le rôle de tuteur pour des « élèves-interprètes » en formation.

4/ Sa rémunération
En début de carrière, la rémunération d’un interprète en langue des signes est modeste au regard des 5 années d’études supérieures nécessaires pour être diplômé : 1200 à 1500 € net par mois.
Ensuite, après quelques années d’expériences professionnelles elle devient très variable, en fonction des vacations effectuées, du statut…

5/ Une synthèse des compétences
Dans son mémoire de fin d’études mon collègue Christophe Ricono (qui travaille à Ex-aequo, Lyon) a proposé une synthèse des compétences requises par ce métier. Comme je ne ferais pas mieux qui lui, je reproduis son tableau :

compétences ILS

6/ Les contraintes du métier

  • disponibilité et souplesse (horaires non réguliers, décalés, nécessité de devoir répondre dans l’urgence à une demande, nombreux déplacements) ;
  • isolement professionnel ;
  • risques sur la santé dus à une usure physique et intellectuelle : TMS, stress, déplacements (douleurs dorsales…) ;
  • fatigue visuelle en visio-interprétation.

7/ Les diplômes d’interprètes F/LSF reconnus par l’Afils
Vous trouverez des infos plus détaillées sur les cursus proposés (Master 2, Bac +5) dans cet article : « devenir un interprète F/LSF diplômé« .

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Sources :
En plus des nombreux articles déjà publiés sur ce blog, pour des informations plus approfondies sur ce sujet, je vous conseille :
le site de l’Afils ;
– le mémoire de Christophe Ricono intitulé : « Regard sur les compétences des interprètes en langue des signes » (PDF).

Et d’aller rencontrer des interprètes en langue des signes pour discuter avec eux. Vous verrez, nous sommes très gentils !

PS : bien sur, cette description n’étant en rien exhaustive, n’hésitez pas à m’interroger si vous avez besoin de précisions ou d’éclaircissements.

Travailler avec un interprète, le mode d’emploi de la CIA

La torpeur estivale recouvre enfin la capitale, les interprètes en langue des signes se tournent les pouces. On profite des terrasses des cafés et on se contente de traduire les journaux télévisés (France 2, BFMTV, iTélé, LCI).

Aussi profitons-en pour nous échapper un peu, envolons-nous vers les États-Unis.
Je vous propose, en lien avec le billet précédent, de poursuivre notre immersion dans le monde mystérieux des services secrets en découvrant des extraits (traduits par moi-même) du « Manuel de l’Interrogatoire » rédidé par la Central Intelligence Agency (CIA) et destiné à ses agents (édition 1988) afin qu’ils apprennent à travailler en bonne intelligence avec les interprètes s’ils en avaient besoin un jour.

Bien sûr ces recommandations sont valables quelle que soient les langues de travail (langue des signes comprise).

INTERPRÈTES

I- Introduction :
En de nombreuses occasions (clandestins, réfugiés, prisonniers de guerre, agents suspects) les personnes interrogées ne parleront votre langue. C’est pourquoi la présence d’un interprète sera indispensable pour mener à bien l’interrogatoire.
Utilisé à bon escient, un interprète peut être un atout essentiel dans la conduite de votre mission en vous permettant notamment de respecter les diverses coutumes et traditions des personnes interrogées.
Cependant n’oubliez jamais que la présence d’un interprète ne peut remplacer avantageusement un échange direct entre vous et le suspect.

II- Difficultés et limites :
A- Le temps nécessaire pour conduire un interrogatoire sera plus que doublé.
B- Vous éprouverez des difficultés importantes à essayer d’établir un lien direct avec le suspect en raison d’un manque de contact personnel avec lui car vous ne pouvez pas lui parler directement.
C- Il est très difficile d’utiliser certaines techniques d’interrogatoire telles qu’un tir nourri de questions en présence d’un interprète.
D- Certains éléments signifiants comme l’inflexion de votre voix, le ton utilisé, ne pourront pas être perçus par le sujet (à cause du recours à un interprète) ce qui augmente les risques de malentendus.
E- La présence d’un interprète peut amener le suspect à ne pas dévoiler des informations durant l’interrogatoire. Des personnes acceptent de révéler certains éléments uniquement si elles ont l’assurance que leur propre camp ne sera pas au courant qu’elles parlent ceci afin d’éviter toutes représailles. La présence d’un troisième personnage durant l’interrogatoire, même si c’est un interprète, peut faire douter le suspect sur les promesses de confidentialité.
F- Il existe un risque sécuritaire en raison de la présence d’un interprète qui sera une personne de plus au courant de nos besoins en renseignements et il entendra un nombre considérable d’informations classifiées durant la conduite de l’interrogatoire.

III- Sélectionner les interprètes :
A- Il est important que l’interprète ait les habilitations de sécurité nécessaires car l’ennemi cherche continuellement à pénétrer notre organisation afin d’apprendre nos besoins en renseignements.
B- Il doit parfaitement parler votre langue ainsi que celle du sujet interrogé. Il doit aussi être parfaitement à l’aise à l’écrit dans les deux langues.
C- Autant que faire ce peut, la personnalité de l’interprète doit être aussi proche que possible de la votre. Cela deviendra le cas si vous êtes amenés à travailler régulièrement ensemble. En cas d’incompatibilité vous devrez prendre un autre interprète. Il doit aussi pouvoir adapter sa personnalité en fonction du suspect et des techniques d’interrogatoire employées.
D- (…) Dans certaines sociétés les femmes sont souvent considérées comme socialement inférieures. Aussi prendre une interprète féminine n’est pas conseillé si vous interrogez un homme. Certaines intonations masculines ne pourraient pas être retransmises par la voix d’une interprète féminine. Or, d’après des recherche en psychologie, hommes et femmes répondent mieux s’ils sont interrogés par un homme.
(…)

IV- Formation des interprètes :
A- Établissez dès que possible votre autorité et assurez-vous que l’interprète prend conscience des limites de sa propre autorité. C’est votre rôle d’informer l’interprète de ses devoirs, du comportement attendu, des techniques d’interrogatoire qui seront pratiquées et tous les autres éléments que vous jugerez nécessaires.
B- Déterminez son niveau de formation et d’expérience, notez tout ce qui vous semblera inapproprié et notifiez-lui fermement ce qu’il doit modifier. (…)
C- L’exactitude des traductions est primordiale. Il doit savoir que s’il ne comprend pas ce que vous essayez de dire il ne doit pas déformer vos propos. Il faut dans ce cas qu’il en discute d’abord avec vous avant de les traduire.
Il doit comprendre qu’il est votre porte-parole et qu’il est indispensable à la bonne tenue de l’entretien.
Cependant il faut l’avertir qu’il ne doit pas intervenir avec ses propres idées durant l’interrogatoire. Il doit traduire directement tout propos énoncé par vous ou la personne interrogée. Il doit éviter les expressions telles que « il veut savoir si vous… » ou « il me dit de vous dire que… ».
(…)
E- Une attention particulière doit être portée sur la maîtrise par l’interprète de terminologies techniques dans des domaines précis. L’utilisation de vocabulaires techniques accroît la complexité dans la compréhension des questions ou des réponses. C’est pourquoi l’interprète doit être aussi compétent que vous sur les sujets abordés.
F- Faites-lui clairement comprendre que la quantité et la qualité des informations obtenues durant l’interrogatoire dépendra de ses compétences.

V- L’utilisation des interprètes :
A- Il faut toujours intégralement briefer l’interprète avec les informations en votre possession en liaison avec les objectifs de l’interrogatoire.
En amont de l’interrogatoire, l’interprète doit pouvoir mener les recherches de vocabulaire techniques ou professionnels qu’il jugera nécessaires. Dans certains cas il sera nécessaire que vous lui fournissiez une définition précise des termes que vous emploierez afin de vous assurer qu’ils sont clairement compris par l’interprète.
(…)
C- Il existe deux méthodes d’interprétation: consécutive  ou simultanée. Vous choisirez la méthode retenue en fonction de votre évaluation des capacités de l’interprète et de ses caractéristiques personnelles.

Chacune des méthodes a ses propres avantages et inconvénients que vous devez connaître.
Interprétation consécutive : vous dites des phrases entières voire des paragraphes. Puis vous attendez que l’interprète les traduise. Cela demande à l’interprète d’avoir une excellente mémoire. Mais cela lui permet aussi de correctement reformuler les phrases afin d’être sur qu’elles seront compréhensibles dans la seconde langue. C’est important si la structure de la langue du sujet interrogé est très différente de la votre.
L’inconvénient de cette méthode est qu’elle rend plus évidente la présence de l’interprète. Elle rompt le contact visuel « les yeux dans les yeux » entre vous et le sujet interrogé.
L’interprétation simultanée : l’interprète traduit vos mots au fur et à mesure que vous parlez. Il  colle à vos propos le plus possible, souvent il n’y a que quelques mots d’écart entre vous et lui. Cela lui permet de mieux exprimer les finesses dans l’expression, de mieux faire percevoir votre attitude mentale ou celle du suspect. Comme il n’y a pas de pause tandis que vous ou le sujet parlez cette méthode favorise une écoute attentive, améliore le lien entre vous et le sujet.
L’interprétation simultanée a pour inconvénient d’augmenter le risque d’erreur dans l’interprétation surtout s’il y a de grandes différences dans la structure des phrases entre les deux langues. Elle nécessite aussi une très grande compétence dans les deux langues.

D- Quelques recommandations
Informez l’interprète sur le déroulement de l’interrogatoire et les techniques qui seront utilisées. Si possible entrainez-vous avant avec lui dans des conditions le plus proche possible de la réalité.
Lors du premier contact avec le sujet, vous devez l’informer sur le rôle de l’interprète durant l’interrogatoire, à savoir qu’il est là pour traduire précisément tout ce qui sera dit entre vous et lui.
Informez également le sujet qu’il doit s’adresser directement à vous, pas à l’interprète et qu’il doit vous regarder quand il parle et pas l’interprète.
Dites au sujet qu’il doit s’exprimer directement à vous sans utiliser les phrases telles que « dites lui que… » ou « je tiens à vous faire dire… ».
E- La constitution du rapport
L’interprète doit vous aider à préparer le dossier et le rapport suite à l’interrogatoire pour s’assurer qu’il n’y a pas de malentendus dans ce qu’a dit le sujet et que vous avez correctement évalué son état d’esprit psychologique. S’il doit y avoir par la suite d’autres interrogatoires avec le suspect, vous pourrez ainsi mieux ajuster votre technique et prendre un avantage psychologique sur lui.

VI- Conclusion :
Rappelez-vous que l’interprète peut faire la différence entre la réussite ou l’échec d’un interrogatoire. Si vous devez faire appel à un interprète, utilisez le à bon escient. Tenez compte de vos besoins, choisissez-le avec attention, entrainez-le bien et utilisez des techniques adaptées.

Si vous avez un interprète lors d’une situation « salle de classe » et qu’il y a deux instructeurs, n’oubliez pas que l’interprète devra travailler deux fois plus dur ; s’il y a trois instructeurs, trois fois plus dur.

Peu importe à quel point l’instructeur s’exprime mal, l’interprète rendra toujours son propos juste.
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L’intégralité du document (en anglais) se trouve ici :
Human Resource Exploitation – Training Manual

Merci à Pierre Guitteny (interprète français/LSF en Aquitaine) qui a exhumé ce manuel.

Interprète 007

Il est vrai que dans certaines situations de traduction on rêverait d’avoir un « permis de tuer » pour éliminer celui-ci qui marmonne dans sa barbe et dont on comprend un mot sur deux ou celle-là qui balance 3 signes en imaginant que l’interprète sera bien capable d’en faire une phrase dans un français correct.

Source : http://www.thatdeafguy.com/

Code éthique (2) : le secret professionnel

Après une présentation générale du Code éthique des interprètes en langue des signes française (LSF), arrêtons-nous sur l’article 1 du Titre premier sur le secret professionnel.

« L’interprète est tenu au secret professionnel total et absolu comme défini par les articles 226-13 et 226-14 du nouveau code pénal dans l’exercice de sa profession à l’occasion d’entretiens, de réunions ou de conférences non publiques. L’interprète s’interdit toute exploitation personnelle d’une quelconque information confidentielle ».

Cliquez sur l’image pour voir signer « secret professionnel » 

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L’article 226-13 du Code pénal auquel il est fait référence stipule : « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15000€ d’amende » (gloups!).

Il faut se rappeler qu’un interprète français/LSF est au contact de la vie privée des personnes sourdes, c’est la différence essentielle de notre profession avec celle des interprètes en langues vocales (anglais, russe, chinois…) qui interviennent essentiellement en milieu professionnel.
Nous traduisons les rendez-vous médicaux, les jugements lors d’un divorce, les interrogatoires au commissariat, la séance chez le psychiatre, l’entretien d’embauche ou de licenciement… Et au cours d’une même journée, on peut rencontrer la personne sourde dans différentes situations (particulièrement en province).
Un exemple (un peu exagéré) de ce qu’il ne faut pas faire : le matin vous traduisez un rendez-vous chez un proctologue et le soir, alors que vous traduisez un pot de départ dans une entreprise en présence du même sourd vous lui demandez à haute voix : « alors vos hémorroïdes, ça va mieux ? ».
Certes, je choisis un exemple caricatural mais il faut comprendre qu’il n’est déjà pas facile d’aborder certains sujets intimes en présence d’une tierce personne (l’interprète en l’occurrence). Alors comment imaginer avoir une communication libre et franche par le truchement d’un interprète si on n’est pas sûr que ce dernier n’ira pas répéter ailleurs la conversation ?

Pour une entreprise privée ou publique la problématique est la même : avoir la garantie que jamais l’interprète n’ira révéler à l’extérieur ce qu’il a pu voir ou entendre durant sa vacation. Par exemple, lors de réunions chez un constructeur automobile on parle de stratégies marketing, de lancement de nouveaux véhicules, de futurs prototypes. S’il craignait que nous en révélions le contenu, nous ne serions plus présents avec bien sur un risque d’isolement pour les personnes sourdes, ces dernières n’ayant plus accès à l’information.

Donc l’interprétation ne peut se faire que si les usagers (sourds et entendants) savent que le professionnel – qu’est l’interprète – gardera le secret sur tout ce qu’il traduit. J’ajoute que pour les réunions non publiques, le secret englobe non seulement les propos tenus mais aussi toutes autres informations. Par exemple on n’a pas à révéler la liste des personnes présentes ou quoi que ce soit d’autres (en fait pour faire plus simple, on ne doit même pas dire que la réunion a eu lieu).

C’est pourquoi quand je rédige des billets pour ce blog ou des messages sur Twitter, je reste vigilant afin qu’on ne puisse jamais identifier une personne ou une Société dans les exemples que je cite.

Bien sur, ce secret connaît des limites (c’est l’article 226-14 du Code pénal) lorsqu’on a connaissance de sévices, de privations, de menaces sérieuses sur une (ou des) personne, du projet d’un crime ou d’un délit (il ne s’agirait pas de se faire condamner pour non-assistance à personne en danger).
Enfin ce secret professionnel peut être partagé entre interprètes, lorsque pour des besoins de fonctionnement, un interprète doit fournir des informations confidentielles à un collègue afin de lui permettre d’assurer sa prestation. C’est le cas, par exemple, d’une suite de rendez-vous qui ne pourront pas être traduits uniquement par un seul interprète.

Durant les cours de déontologie, on revient souvent sur cette notion de secret professionnel. Naturellement l’étudiant (naif) pense d’emblée que ce n’est pas compliqué « il suffit de rester bouche cousue ». Bien sûr on a tous compris qu’une fois la réunion qu’on traduisait est finie, on ne se précipite pas sur son téléphone pour appeler un journaliste et lui révéler que X couche avec Y.
Mais d’autres situations sont plus délicates…

Un exemple :
En milieu scolaire l’interprète fait parti de l’équipe pédagogique, il est intégré à la vie de l’école. Durant les pauses, il va fumer une cigarette avec des professeurs derrière le bâtiment, à midi il se rend dans la cantine réservée aux enseignants, il boit des cafés et discute dans la salle des professeurs…
Or il suffit de mettre deux professeurs dans une même pièce pour qu’ils parlent immédiatement de leurs élèves, de leurs cours.

Cependant ils ne sont pas soumis au même code déontologique que nous. De plus, comme nous intervenons dans tous les aspects de la vie scolaire des élèves, nous recueillons beaucoup d’informations (confidentielles) sur eux. Nous traduisons des cours mais aussi des convocations chez le proviseur, une visite médicale, des réunions parents/professeurs, un conseil de discipline…

Et immanquablement, durant leur conversation, les professeurs se tournent vers l’interprète pour savoir comment se débrouille un tel, si celle-là a compris son cours car elle semblait perdue, si la jeune fille a des problèmes personnels actuellement car elle semble moins attentive, pourquoi ce garçon a été absent durant trois jours…
Continuellement sollicitée, il faut néanmoins rester diplomatique et expliquer sans cesse aux moyens de phrases « toutes-faites » que « pourtant vous savez bien que je ne peux rien dire », ou, avec un charmant sourire répondre « motus et bouche cousue » ou encore tenter de s’en sortir avec une habile pirouette.

Il faut donc rester vigilant et c’est d’autant plus difficile que cette vigilance doit surtout s’exercer lors de moments informels tels que les déjeuners ou les pauses, où justement une certaine décontraction s’installe.

Cela est valable dès qu’on est amené à travailler régulièrement avec des équipes de professionnels dans tous les domaines : santé, médico- social, pédagogique, justice…
Par conséquent, étant intégré à une équipe, ne pouvant et ne voulant pas non plus s’isoler dans sa tour d’ivoire et n’en descendre que pour travailler, l’interprète en LSF doit sans cesse jongler avec finesse avec le secret professionnel. Avec gentillesse aussi pour ne pas apparaître comme sectaire, froisser les enseignants (parfois susceptibles) et se couper de tout contact humain. Cette obligation précisée, il peut alors discuter d’autres sujets, par exemple qu’il serait ravi que la professeur de français lui communique sa recette de fondant au chocolat, qui elle, n’est pas confidentielle (ça c’est une des pirouettes dont je vous parlais précédemment).

A suivre : la fidélité

Code éthique (1) : présentation

Je l’évoque régulièrement dans mes billets et nous allons encore souvent le rencontrer. Il convient donc de s’attarder quelques articles sur lui, à savoir, le Code éthique des interprètes/traducteurs en langue des signes française (LSF) élaboré par l’AFILS.

Ainsi, pour juger de la compétence d’un interprète, on peut se référer à trois critères:
– la langue des signes
– les techniques (stratégies) d’interprétation
– la connaissance et la maîtrise du Code éthique.
Il est donc un élément majeur pour garantir une bonne pratique de notre métier. Ce n’est pas qu’un simple texte théorique encadrant notre profession. C’est aussi un atout pour les interprètes professionnels, une protection qui leur garantit d’effectuer une interprétation correcte et respectueuse dans les meilleures conditions possibles.

C’est à partir de 1970 que le mouvement de reconnaissance de la langue des signes initié par les sourds est accompagné par une volonté de professionnaliser le métier d’interprète (voir historique du métier d’interprète en LSF), d’où la nécessité de réfléchir à l’instauration d’un code déontologique.
C’est ainsi que des interprètes qui travaillaient bénévolement prennent conscience qu’ils sont plusieurs à pratiquer la même profession. Ils décident alors de se réunir et fondent la première association française d’interprètes en 1978, l’ANFIDA (Association Nationale Française d’Interprètes pour Déficients Auditifs) qui deviendra l’AFILS en 1988. A cette occasion sont joints à ses statuts des règles déontologiques qui garantissent la fidélité au message, la neutralité et le secret professionnel.
Les adhérents sont des professionnels rémunérés. Ce code donne pour la première fois un cadre permettant de distinguer l’interprète des autres professionnels comme l’interface de communication, le preneur de notes, le répétiteur ou le médiateur social.

De fait, c’est une réponse au discours d’Arlette Morel prononcé à Albi en 1987 dans laquelle elle reprochait aux interprètes, leur manque de déontologie dans l’exercice de leur métier : elle évoquait la nécessité de mettre en place une formation et une déontologie adéquate.
Selon elle, « ces interprètes estimant avoir une solide expérience de l’interprétation sur le plan pratique… n’éprouvent pas le besoin d’aborder l’interprétation comme un vrai métier c’est-à-dire avec une vraie formation….une formation théorique avec une approche déontologique de la fonction, aussi nécessaire que la maîtrise de la LSF. Dommage car ils auraient ainsi appris à être neutres, à ne pas penser à la place du sourd, en résumé à ne pas être plus sourd que sourd ».

En d’autres termes, pour qu’une situation d’interprétation se déroule de manière professionnelle, l’interprète doit respecter des règles. Cela permet aux interlocuteurs sourds et entendants d’être au cœur de la situation. C’est pourquoi toutes les formations qui délivrent un diplôme d’interprète français/langue des signes française (Master 2) intègrent dans leur cursus de nombreuses heures de cours théoriques et pratiques consacrées à ce Code.

Le Code éthique de l’AFILS se compose d’une partie intitulée « Code déontologique » (titre premier) et d’une partie intitulée « Code de conduite professionnelle » (titre deuxième).
C’est l’ensemble des règles et devoirs auxquels les interprètes membres de l’AFILS doivent se référer dans le cadre de leur activité.
Selon l’AFILS, « la déontologie est un contrat moral passé entre les locuteurs (usagers) et l’interprète garantissant que celui-ci interviendra le moins possible dans les échanges. C’est un engagement à respecter les personnes en présence, leur parole et la langue qu’ils utilisent ». Il s’agit donc de préserver l’autonomie de chaque personne sourde, de lui permettre d’exercer ses responsabilités en ayant une information complète, compréhensible et objective.

Voici le texte de ce Code, tel qu’on peut le trouver sur le site internet de l’AFILS, rédigé par Francis Jeggli et Pierre Guitteny.

CODE ETHIQUE

Le présent code éthique définit les conditions d’exercice de la profession par les interprètes membres de l’AFILS.

TITRE PREMIER

Code déontologique

Article 1. – Secret professionnel
L’interprète est tenu au secret professionnel total et absolu comme défini par les articles 226-13 et 226-14 du nouveau code pénal dans l’exercice de sa profession à l’occasion d’entretiens, de réunions ou de conférences non publiques. L’interprète s’interdit toute exploitation personnelle d’une quelconque information confidentielle.

Article 2.- Fidélité
L’interprète est tenu de restituer le message le plus fidèlement possible dans ce qu’il estime être l’intention du locuteur original.

Article 3.- Neutralité
L’interprète ne peut intervenir dans les échanges et ne peut être pris à partie dans la discussion. Ses opinions ne doivent pas transparaître dans son interprétation.

TITRE DEUXIEME

Code de conduite professionnelle

 Article 1.
L’interprète s’interdit d’accepter un engagement pour lequel il n’est pas qualifié. S’il est le seul à pouvoir assurer cette prestation il pourra le faire après en avoir averti toutes les parties concernées.

Article 2.
L’interprète s’engage, dans la mesure du possible, à se former dans le but de répondre aux besoins des usagers.

Article 3.
L’interprète qui exerce une autre activité professionnelle, notamment au sein d’une même institution, doit prendre garde à ce que les exigences de cette autre activité ne soit pas en contradiction avec le code éthique de l’AFILS.

Article 4.
L’interprète doit avoir une présentation appropriée à la situation d’interprétation. Pour le bon déroulement de l’interprétation, il doit veiller à ce que certaines conditions matérielles soient respectées (lumière, placement, etc.).

Article 5.
Conformément à l’article L112-3 du code de la propriété intellectuelle, l’interprète est propriétaire de sa traduction et de son interprétation. Aucune utilisation, diffusion, ni commercialisation de cette dernière ne pourra se faire sans son accord.

Article 6.
L’interprète doit être loyal et solidaire à l’égard de ses collègues. Toute critique sur un collègue ne doit pas être énoncée en public.

Article 7.
L’interprète doit s’assurer qu’il dispose de bonnes conditions de travail. Il doit prévenir son client que des pauses lui sont nécessaires. En aucun cas il ne pourra travailler plus de deux heures sans relais. En situation de conférences, les interprètes travailleront toujours en équipe.

Article 8.
Si l’interprète travaille en équipe, il est en droit de connaître l’identité de son ou ses collègues avant d’accepter un contrat.

Article 9.
L’interprète peut refuser un contrat si, pour une raison éthique et personnelle, il sent que sa prestation ne sera pas conforme au présent code. Le client pourra alors demander une attestation de refus à l’interprète.

Article 10.
Les interprètes qui travaillent ponctuellement bénévolement pour des associations caritatives ou à caractère humanitaire, s’engagent à respecter le présent code et à demander les mêmes conditions de travail que s’ils étaient payés.

Le conseil d’administration peut être interpellé pour tout manquement à ces codes.
Celui-ci, éventuellement aidé d’une commission spéciale nommée à cet effet, statuera sur les suites à donner à toute plainte dans les plus brefs délais. Les sanctions prises par le CA à l’encontre de l’interprète concerné pourront aller jusqu’à sa radiation.

Pour plus d’informations historiques sur la création de ce code déontologique, je vous conseille de lire l’article/chronologie rédigé par Francis Jeggli à l’adresse suivante : http://bit.ly/histoirecodedeonto .

A suivre : le secret professionnel

L’interprète et le professeur

Déjà un  mois que la rentrée scolaire a eu lieu. Dans certains établissements, lorsque des élèves sourds sont en intégration au sein de classes d’entendants, ou si dans une classe composée uniquement d’élèves sourds, le professeur ne sait pas s’exprimer en langue des signes, on remarque à ses cotés un second personnage, l’interprète en langue des signes française (LSF). Nous avions déjà évoqué son rôle dans ce billet.
A présent, je voudrais souligner la spécificité de sa fonction afin de montrer pourquoi un interprète en LSF n’est pas un professeur (et vice et versa) et encore moins un(e) interface ou un(e) AVS (aide à la vie scolaire).

Pour cela, nous partirons du Code déontologique rédigé par l’Afils et auquel il est soumis, à savoir (en résumé) que l’interprète :
– traduit fidèlement le message
– est neutre
– est lié par le secret professionnel.

Soyons clair : l’interprète français-LSF a suivi une formation (Master 2) qui lui permet uniquement d’exercer son métier. Il n’a donc aucune compétence pour se substituer à un professeur quelque soit la matière enseignée. Il ou elle est là uniquement pour traduire le discours du professeur (du français vers la langue des signes) et des élèves sourds (de la langue des signes vers le français).

Neutralité :
Comme interprète je n’influe pas sur le discours que je traduis. Je ne fais pas d’ajouts, pas d’omissions, pas de résumé. Je ne vulgarise pas un discours savant, je n’éclaircis pas un discours obscur. Et bien sur je ne donne pas mon avis ou ne corrige pas le professeur qui (par mégarde sans doute) affirmerait que la bataille de Marignan s’est déroulée en 1635.
Concrètement cela signifie par exemple, que l’interprète ne doit pas remplacer le professeur pour écrire au tableau, ce qui le placerait dès lors du coté du professeur et le ferait sortir de sa neutralité.
Il doit impérativement être à équidistance des deux parties pour conserver sa crédibilité. Sinon le professeur pensera qu’il est de mèche avec les élèves (qu’il les aide derrière son dos par exemple) ou bien ces derniers le confondront avec l’enseignant.
Il n’a également aucune compétence pour prendre en charge la discipline des élèves sourds cela reste de la seule compétence du professeur. Nombre de fois des professeurs nous demandent « vous pouvez leur dire d’arrêter de discuter et d’écouter le cours ». Il nous faut alors leur expliquer que nous sommes là uniquement pour traduire (c’est déjà assez compliqué comme cela) et donc qu’il doit directement s’adresser à ses élèves, qu’ils soient sourds ou entendants ; que s’il veut pousser un coup de gueule contre certains d’entre eux bien sur je le traduirais (et même avec plaisir mais cette remarque je la garde pour moi). Par contre, l’interprète traduira en toute neutralité « le bavardage » des élèves si le professeur lui demande.

Fidélité :
L’interprète en LSF traduit fidèlement le message transmis en français ou en langue des signes. Fidèle au sens et non au mot. Car je vous le rappelle, de même que l’anglais et le français n’ont pas d’équivalent pour chaque mot, le français et la langue des signes française sont des langues très différentes. Ne vous attendez donc pas à retrouver dans la traduction tous les mots employés mais uniquement leur sens.
C’est pourquoi un interprète ne peut pas traduire mot à mot de documents français écrits dictés. Si un professeur souhaite que ses élèves sourds prennent en note sous la dictée, il faut écrire le texte au tableau ou bien le photocopier. En effet, l’interprète dans sa traduction rendrait parfaitement le sens mais absolument pas les mots employés en français.

Secret professionnel :
Enfin, l’interprète est soumis au secret professionnel. Tout ce qui se passe ou se dit en situation de traduction ne sera en aucun cas divulgué.
De fait si l’interprète traduit des examens, il ne pourra pas raconter comment s’est déroulée l’épreuve à d’autres personnes non présentes, au professeur des étudiants interrogés par exemple.
S’il croise un enseignant dans les couloirs du lycée et que ce dernier lui demande comment s’est passé le cours précédant avec le professeur de mathématiques pareil, il ne pourra pas lui répondre et devra le renvoyer vers ce professeur pour avoir des informations.

La neutralité, la fidélité et le secret professionnel sont les bases fondamentales de la déontologie du métier d’interprète auxquelles il souscrit dès qu’il commence à travailler. A travers cet exemple simple de l’interprétation en milieu scolaire on comprend que son respect est la garantie d’un travail de qualité qui permettra à chacun, interprète, professeur, élève de trouver et de conserver sa place dans une situation qui est au départ inhabituelle et complexe.

C’est aussi pourquoi je critique la présence des interfaces qui imaginent pouvoir « se substituer » à un interprète. N’étant pas soumis au même code déontologique, ils ou elles se permettent parfois de jouer avec les frontières et d’ajouter de la confusion à une situation déjà compliquée même s’ils agissent en toute bonne foi.
Ainsi, ils traduisent (plus ou moins bien) en sélectionnant ce qui leur semblent intéressants et en négligeant des apartés, des commentaires qu’ils jugeraient non pertinents avec le cours.
Ils se transforment en professeur pour ré-expliquer à un élève qui n’aurait pas compris alors qu’ils n’ont pas les diplômes sanctionnant une formation adéquate et encore moins les compétences nécessaires à la matière enseignée.
Enfin durant les pauses ils deviennent « copains des élèves » ce qui permet toutes les familiarités brisant hélas la distance indispensable à conserver entre les différents acteurs afin que nous soyons toujours regardés et considérés comme des professionnels, simple mais indispensable passerelle entre deux communautés qui s’expriment dans deux langues différentes.