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Interprètes en LSF, « petites mains de la présidentielle »

7 apprentis journalistes animent un réjouissant site internet, “Les Petites Mains de la présidentielle”.
La ligne éditoriale est claire. Il s’agit de mettre en lumière le temps d’un article ou d’un reportage vidéo ceux qui participent à la campagne présidentielle mais qui évoluent dans l’ombre, ceux comme ils écrivent « sans qui un meeting serait sans chaise, sans boisson, sans musique et un candidat sans allure« .

Parmi ces petites mains il y a parfois les interprètes en langue des signes qui sont appelés pour traduire les discours lors des meetings politiques.

Après nous avoir vus traduire le meeting de François Fillon au Cirque d’Hiver en septembre dernier, Héloïse Fayet m’avait interviewé sur comment on se prépare avant ce type d’intervention, sur la neutralité de l’interprète… En voici un extrait :

« Si vous ne rencontrez pas le candidat, comment préparez-vous un meeting de campagne ?

On ne reçoit jamais le discours avant : la paranoïa est très forte dans ce genre de milieu, c’est très confidentiel. Mais, vu que ce sont toujours les mêmes discours, avec seulement l’ordre des paragraphes qui change, il suffit d’avoir fait le premier meeting pour être plus à l’aise lors des suivants. On regarde aussi beaucoup de vidéos, on étudie le site internet, la profession de foi… pour récupérer des éléments de langage et réfléchir à leur traduction. Et c’est parfois difficile : un interprète traduit du sens, pas des mots parfois creux qui reviennent en boucle. Il faut être inventif pour traduire de différentes façons, et faire comprendre des expressions : par exemple, “roman national”, c’est galère à traduire ! En LSF, cela devient “histoire de France que l’on raconte comme une histoire”… Il vaut mieux l’avoir préparée avant.

Sarkozy, Fillon, Le Maire… Vous ne traduisez que des politiques de droite ? Est-ce une sensibilité personnelle ?

Non, pas du tout. Si nous traduisons surtout des politiques de droite, c’est parce que ce sont eux qui organisent des meetings en ce moment, mais pour les élections régionales de 2015, j’ai travaillé avec Claude Bartolone. Comme tous les interprètes, nous suivons trois règles : le secret professionnel, la fidélité au discours et la neutralité. Notre boulot, c’est de rendre accessible un discours : on n’y adhère pas. Je ne suis pas toujours fan de Nicolas Sarkozy ! Mais on est quand même sur scène, physiquement associé à la personne qui parle : du coup, cela me poserait un problème personnel de traduire un discours de Marine Le Pen. »

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Lien vers l’article curieusement titré : Stéphan Barrère, interprète en langue des signes française : “J’ai fait toute la campagne de Sarkozy sans jamais lui serrer la main”

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La semaine dernière, c’est Alexandra Viera, toujours du site “Les Petites Mains de la présidentielle” qui a suivi mes collègues basées à Lyon qui traduisaient elles aussi un meeting de François Fillon. Voici son reportage vidéo :

« Emilie Dert et Sophie Issartial sont interprètes en langue des signes française (LSF). Elles travaillent à Lyon. Pour venir au meeting de François Fillon le 22 novembre, elles ont été appelées du jour au lendemain. C’est toujours à deux qu’elles couvrent un meeting, pour pouvoir se relayer. Avant l’événement, elles préparent leurs gestes à l’aide du script des précédents discours du candidat. Il faut, autant que possible, essayer de tout traduire. Quitte à faire de longues périphrases. »

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© Stéphan – ( i ) LSF

Des GayPride accessibles dans la joie et la LSF

On ne peut pas devenir interprète en langue des signes sans être persuadé que les Sourds sont des citoyens à part entière et autonomes ce que la société française en général et nos hommes politiques en particulier ont tendance à oublier.

Dans les années 80/90, à l’issue du mouvement des années 70 qu’on a appelé le Réveil Sourd, les interprètes F-LSF étaient très liés à la communauté sourde. Il s’agissait pour cette jeune profession de s’affirmer via un combat, un militantisme commun autour justement de cette reconnaissance de l’individu sourd en tant que citoyen autonome ; ils étaient avec les sourds pour traduire mais aussi pour soutenir leurs revendications autour de la reconnaissance de l’identité sourde, de la culture sourde, de leur langue, la LSF et bien sur de leurs besoins en interprétation.
Cela a d’ailleurs donné lieu à plusieurs recherches universitaires autour de ce thème : « Interpréter en langue des signes est-ce un acte militant ? » (Christine Quipourt et Patrick Gache ou Maud Thibault).

Aujourd’hui la professionnalisation de notre métier a sans doute entrainé un éloignement entre cette communauté et les interprètes, au profit d’une plus grande neutralité. On peut certes le regretter mais cela a aussi permis d’avoir une image plus légitime et crédible auprès des entendants et éviter l’amalgame interprète = communauté sourde.
En outre, nous restons, bien sur (et j’espère fièrement), des ambassadeurs de la langue des signes et de la culture sourde auprès de la société entendante.

Par ailleurs, ce gout commun pour le militantisme n’a pas entièrement disparu. Il a évolué vers de nouvelles revendications, également partagées, comme l’accessibilité pour tous, l’égalité des droits au sein de la société, le refus des discriminations, la protection de l’environnement…

Ce n’est donc pas un hasard si cette année encore, en ces jolis mois de juin et de juillet, les marches des fiertés (gay pride pour les plus anciens) sont l’occasion de voir un peu partout en France, des interprètes F-LSF traduire les discours en tête des cortèges : à Paris, bien sur et dans les grandes villes françaises comme Nantes, Montpellier, Lille, Lyon…
Par leur présence, les interprètes permettent aux sourds d’accéder aux débats, au discours, mais aussi de revendiquer, de manifester d’être vus et entendus par la société civile. C’est ainsi que nos deux communautés se rapprochent à nouveau auprès de valeurs communes.

Car interpréter c’est aussi s’engager à agir pour et avec les autres.

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© Stéphan – ( i ) LSF