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Etre l’interprète de personnages publics par Cultures Connection

Récemment l’agence Cultures Connection qui est spécialisée en traduction et autres services linguistiques et web m’a contacté pour me proposer un partenariat et publier un article sur mon blog « des signes et des mots ». 

Flatté, j’ai accepté avec grand plaisir d’autant que Cultures Connection tient un blog trilingue que je lis régulièrement et dans lequel on trouve plus de 300 articles de contenu, touchant aux divers aspects de la traduction et à l’actualité de ce domaine. Voici le lien vers leur site que je ne peux que vous encourager à visiter :
http://culturesconnection.com/fr/blog-de-traduction/

L’article proposé présente les interprètes qui travaillent aux cotés des chefs d’Etat et autres personnages puissants de la planète.
C’est intéressant car il rappelle non seulement le rôle sensible que jouent les interprètes dans cette fonction mais aussi propose une réflexion sur la neutralité et les risques encourus par l’interprète à écorner son image en étant, parfois, assimilé à tort à la personne qui s’exprime.

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Quand l’interprétation devient personnelle

Dans le feu de l’action et au cœur de l’actualité, avant même qu’elle ne soit rendue publique, voilà le pain quotidien du métier de l’interprétation, dont une grande part du marché touche les relations et négociations géopolitiques dans le monde. Dans l’exercice de leur fonction, certains interprètes sont amenés à travailler pour – ou avec – des personnages publics, des hauts dignitaires, des chefs d’Etat, … En d’autres termes, des individus dont la réputation a un prix, avec une image à façonner ou à préserver, reconnus pour leurs opinions et leur éloquence. Inutile de dire que la transposition de leurs paroles dans une autre langue constitue un réel enjeu pour eux sur la scène internationale. Dans ce contexte, l’interprète joue un rôle de vecteur puisqu’il arrive que ses paroles figurent en gros titre des journaux locaux. Barack Obama, Vladimir Poutine, François Hollande ou encore Angela Merkel font tous appel aux services d’interprètes attitrés.

Les traducteurs et interprètes répondent parfois d’accusations d’incidents diplomatiques – il paraîtrait, par exemple, que le bombardement d’Hiroshima ait été partiellement déclenché par une imprécision de la traduction – parce que leurs erreurs peuvent mener à des situations rocambolesques. Lorsqu’une incompréhension ou un malentendu surgit entre deux ou plusieurs parties, il est facile d’en attribuer la responsabilité à l’interprète. Et lorsque celui-ci se trompe, c’est le personnage public qui en souffre, ses paroles peuvent envenimer les relations entre deux Etats, voire même mettre un terme aux négociations. Dès lors, pour éviter de « déclencher une troisième Guerre mondiale », certains chefs d’Etat et autres figures de proue choisissent la sécurité en embauchant systématiquement le même porte-parole.

Il peut s’agir de professionnels formés en interne, comme au Kremlin, ou de free-lances suivant une seule personne. Ils accompagnent leur client à tout moment et à tous types d’occasion quand la langue cible en question est impliquée, que ce soit à des rendez-vous d’affaires, en voyage, en conférence de presse, sur les plateaux télé ou autres circonstances et sont capables de travailler en simultanée, en consécutive et en liaison.

A priori, de cette façon, le personnage public s’assure une confiance aveugle en un messager spécialisé, qui maîtrise tous les sujets qui pourraient être abordés et est toujours préparé. Il représente un interlocuteur unique, fiable et responsable qui ne mettra pas en danger la réputation de son employeur. L’interprète ne devrait avoir aucun problème à comprendre les intentions et subtilités du message de l’orateur, qu’il connaît par cœur.

Pour l’interprète, bien que cette fonction soit une place de choix, elle comprend tout de même certaines difficultés, inhérentes à la profession de façon générale. Tout d’abord, un professionnel n’est pas obligé et ne devrait pas accepter une mission s’il n’adhère pas au message transmis par l’orateur, pour des questions d’éthique, de professionnalisme et d’amour de son métier. Soulignons, par exemple, le défi auquel ont fait face les interprètes d’un candidat lors de la course à la Maison Blanche.

Si le personnage public met sa réputation entre les mains de son interprète, l’image de ce dernier se voit également affectée par les missions qu’il accepte. Il faut admettre que le public associe parfois orateur et interprète sans discernement. Enfin, les hommes politiques sont connus pour jouer avec l’intonation, les hésitations, et la vitesse, entre autres, dans leurs discours et, dans le cas susmentionné, sur la vulgarité, les accusations et les insultes. Il convient, bien évidemment, de transmettre les mêmes intentions en restant toujours le plus fidèle possible.

Cet article est proposé par Gaëlle de Cultures Connection.

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© Stéphan – ( i ) LSF

L’interprétation de liaison

Les interventions des interprètes en langue des signes sont classées en 3 groupes ou situations : l’interprétation de conférences, l’interprétation de réunions ou de formations, l’interprétation de liaisons. Enfin une dernière a fait son apparition depuis quelques années : la visio-interprétation.

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Une interprétation est dite « de liaison » lorsque l’interprète intervient, seul, entre deux ou trois personnes dans le cadre d’une démarche individuelle. Il peut s’agir d’un entretien lié à l’emploi (embauche, licenciement, entretien individuel annuel…) ou à la vie courante (achat immobilier, médecin, avocat, banque, MDPH…).

L’interprétation de liaison suppose une grande polyvalence et une vigilance accrue sur son comportement, ses attitudes.

C’est dans les rencontres individuelles que la notion de « transparence » de l’interprète est la plus difficile à maintenir, du fait du petit nombre d’interlocuteurs. Comme le souligne l’AFILS : « La transparence est l’objectif à atteindre. Elle signifie que les locuteurs en présence ont instauré une relation telle que la présence de l’interprète est oubliée.  Savoir s’effacer requiert une grande compétence technique et une bonne stabilité émotionnelle ».

Par ailleurs dans de nombreuses situations de liaison la responsabilité de l’interprète est majeure. En effet, une erreur d’interprétation en milieu médical (une mauvaise traduction des doses d’un médicament à prendre par exemple) peut avoir de lourdes conséquences sur la santé de la personne sourde.

D’autres situations telles que les oraux d’examens, les entretiens d’embauche ont une incidence sur la vie future des personnes pour qui nous traduisons. Il ne s’agit donc pas de que la personne « rate » son examen ou face une mauvaise impression au DRH par la seule faute d’un interprète maladroit. Sans parler des gardes à vue ou des entretiens judiciaires où une simple erreur dans notre traduction peut prendre une tournure dramatique.

Outre ces situations délicates, l’interprète doit faire preuve d’une grande assurance et installer une relation de confiance avec les personnes qui s’expriment, la présence d’une tierce personne extérieure à la conversation étant forcément déstabilisant. Pour cela l’interprète en langue des signes doit respecter scrupuleusement de la déontologie de son métier et avoir une attitude appropriée à la situation (vêtements, mimiques, conventions de politesse, etc.). Ce comportement contribue à la notion de transparence que nous avons vue précédemment.

Les spécificités de ce type de communication répondent aussi à des critères stricts. Par exemple l’interprète doit se placer physiquement à une place bien précise, afin d’être le moins présent possible dans les échanges. C’est pourquoi une situation triangulaire est à proscrire. La triangulation signifie que l’interprète est dans le cercle de la communication et que tous les interlocuteurs se voient. Or, il n’est pas nécessaire que la personne entendante voit l’interprète. En conséquence, on se place face à la personne sourde et à proximité de la personne entendante, en étant légèrement en retrait. Ceci afin d’éviter que l’interlocuteur entendant s’adresse directement à l’interprète.

Dans les échanges l’interprète a la possibilité, contrairement aux situations de conférences, d’intervenir lorsqu’une information n’est pas traduite, suite à un débit de paroles important ou lors d’une incompréhension. Néanmoins l’interprète doit, dans sa demande, être bref et explicite afin de ne pas perturber le déroulement de l’entretien. Ces interventions techniques de l’interprète sont particulièrement importantes en situation de liaison. Elles sont désignées sous le terme général de « pilotage » qui renvoie au que l’interprète est le seul responsable de la gestion de sa traduction.

Les spécificités de l’interprétation de liaison tiennent souvent moins aux situations qu’à leur aspect inédit pour les entendants  et elles ont probablement un caractère exceptionnel pour nos homologues en langues orales (anglais, russe, chinois, turc…). En effet nous entrons dans la vie intime des personnes, nous avons une connaissance de leur histoire, de leurs relations, de leurs bonheurs ou malheurs. Cette intimité peut même être éprouvante comme lors de consultations médicales où le médecin annonce à son patient qu’il est atteint d’un cancer où quand l’assistante sociale déroule les épreuves de la vie rencontrée par une famille sourde.

Il faut aussi être clair dans son rôle d’interprète et ne pas se laisser déstabiliser par les apartés, les questions que vous pose souvent la personne entendante mettant de coté la personne sourde avec qui il est pourtant sensé discuter : « comment faites-vous pour traduire… ou vous pourriez lui expliquer… ou encore à votre avis est-ce-qu’il va pouvoir… ».

Enfin, la dernière particularité concerne l’équilibre de traduction vers les deux langues. D’une manière générale, sauf en situation de liaison, nous travaillons beaucoup du français vers la langue des signes. L’inverse (vers le français) est souvent ressenti comme une difficulté par les interprètes. En effet, une des caractéristiques de la LSF est justement la simultanéité des informations qui peuvent être contenues dans un « signe ». Par exemple, Paul Jouison, dans son étude des verbes de déplacement en LSF note : « La mise en évidence de la structure simultanée entraîne une constatation : (…) nous avons rencontré au sein d’un même signe le sujet de l’action, le nombre de sujets, la durée, le lieu, etc. … » Une telle quantité d’informations est difficile à exprimer en un seul mot.

En raison des enjeux personnels, sociaux, professionnels, médicaux ou autres que comportent les situations de liaison, l’interprète entre bien souvent dans l’intimité des interlocuteurs. Le respect de la déontologie est donc capital. L’interprète doit avoir un comportement de neutralité irréprochable, une fidélité au discours sans faille et conserver strictement le secret professionnel. Bien que sur la forme elle paraisse plus accessible que l’interprétation de conférence ou de réunion, en ce qui concerne le fond de l’interprétation de liaison requiert de la part de l’interprète une grande rigueur déontologique.

On peut ne pas être convaincus par cette catégorisation (conférence, réunion, liaison) qui existe essentiellement pour établir le tarif de notre vacation (en moyenne 130€ pour une interprétation de liaison). En effet rien ne dit qu’interpréter une conférence fut-elle extrêmement pointue ou technique soit plus difficile que de traduire une réunion de travail où tout le monde parle en même temps ou encore des situations complexes où l’affectif est très présent comme des rendez-vous médicaux ou sociaux.

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Un dernier exemple d’interprétation de liaison que j’ai vécu pour vous en convaincre :

Une patiente, sourde, est reçue par un médecin du service de cancérologie. Un peu perdue, elle est ici pour qu’il lui remette les dates de sa prochaine hospitalisation en vue d’une nouvelle série de traitements et notamment des séances de chimiothérapie. À la question du médecin (que je traduis) « comment allez-vous ? », elle se lance dans un long monologue cherchant à faire comprendre que ça ne va pas bien, qu’elle n’a plus faim, qu’elle perd un peu la tête, la preuve, elle a failli oublier la date du rendez-vous, elle mélange les jours de la semaine…

Durant ce temps, le médecin, qui ne semble pas l’écouter (là c’est un jugement subjectif de ma part) remplit des fiches sur les futurs traitements. Puis il relève la tête vers elle, l’interrompt et lui demande si elle pense partir en vacances avant son admission. Elle explique que non, car elle est seule, sans enfant… Bref cette femme cherchait à communiquer ses angoisses et ses interrogations à son praticien qui manifestement s’en fichait, volontairement ou pas. À la fin il lui dit simplement : « parfait, on se revoit le 17 pour le traitement, tout ira bien ». Puis il lui remet deux ordonnances presque identiques sans lui expliquer que l’une est pour l’hospitalisation et l’autre pour un traitement à prendre quelques jours avant. Et il nous salut puis nous indique la porte pour sortir.

Dans ce cas présenté, l’interprétation du rendez-vous médical n’était pas techniquement difficile à traduire. En revanche, en tant qu’interprète (et personne humaine) on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine empathie pour tel ou tel usager et sa nécessaire position de neutralité peut troubler parfois son affect en lui donnant le sentiment d’abandonner la personne à son sort (il aurait été tellement plus facile d’aller voir cette dame après la consultation et de lui dire : « attendez je vais tout vous expliquer », de prendre la posture de l’interprète-sauveur).
Le rôle de l’interprète en situation de liaison n’est pas de sonder les corps et les âmes, d’essayer de comprendre les intentions de chacun (dans ce cas il courrait à la catastrophe se trompant régulièrement dans ses analyses). Il est juste là pour traduire des propos en interférant le moins possible des les échanges.

Il faut s’y tenir car, en dehors de toutes les justifications professionnelles et déontologiques, c’est aussi pour lui un moyen de se protéger, d’éviter un trop grand sentimentalisme qui pourrait perturber sa rigueur, son professionnalisme.

Face au syndrome de Usher

Dans l’Institut où je travaille en tant qu’interprète en langue des signes une fois par semaine, quelques élèves sont atteints du syndrome de Usher. Cette maladie génétique fut décrite pour la première fois en 1914 par un ophtalmologiste anglais, C.H. Husher. Elle associe une surdité et des troubles de la vision dus à un mauvais fonctionnement de la rétine. Ainsi, les personnes atteintes de ce syndrome ont une vision dite tubulaire c’est à dire une réduction de la périphérie vers le centre ce qui entraîne un problème au niveau de l’acuité visuelle pouvant aller jusqu’à un début de cécité.

Les interprètes en LSF doivent alors adapter leur façon de signer en fonction de cette vision altérée, des précautions à prendre sont nécessaires.

La première est de s’assurer des dimensions du champ visuel de la personne sourde et d’adapter la largeur et l’emplacement des signes à ces dimensions.
Nous devons donc signer dans un cadre spatial plus restreint afin que la personne puisse voir chaque signe. En effet, elle suit et décompose du regard chacun des signes au lieu d’avoir une vision globale du discours. Par exemple, elle peut devoir baisser son regard pour fixer un signe effectué au niveau abdominal (ex : le signe « directeur »).
Il arrive également que la personne sourde atteinte de ce syndrome n’ait pas le temps de s’adapter à l’enchaînement de deux signes et perde ainsi une partie de l’information. Dans l’exemple précédent, si l’interprète enchaîne avec un signe au niveau de la tête (ex : « amusant »), ce dernier ne sera pas perçu car la personne sourde aura mis du temps à recentrer son regard sur le visage de l’interprète. Il faut donc ralentir sa vitesse d’exécution pour permettre une pleine compréhension de la traduction.

Ensuite, il est important d’évaluer la distance à laquelle se placer. Certaines personnes auront besoin d’être très proches des signes pour les voir. D’autres s’en éloigneront car leur vision en tunnel ne leur permet pas de voir les signes correctement quand elles sont à une distance habituelle pour recevoir la langue des signes visuellement.

Par ailleurs, afin que les signes soient mieux perçus il est nécessaire de s’assurer d’une bonne luminosité et il convient d’éviter tout contre-jour, toute surface éblouissante et toute source lumineuse trop puissante, l’idéal étant un bon éclairage sur les mains et le visage.

En outre il faut veiller à ce qu’il y ait un bon contraste entre la couleur de la peau de l’interprète et ses vêtements. Ainsi une personne qui a une peau claire devra s’habiller en couleurs sombres, et une personne qui a une peau foncée devra tendre vers des couleurs claires. Bien sûr, encore plus que pour l’interprétation classique pour les personnes sourdes, les vêtements à motifs, à rayures, avec des boutons brillants ou des fermetures Eclair très visibles sont à proscrire.

Vous trouverez d’autres infos sur le site du CRESAM, centre de ressource expérimentale pour enfants et adultes sourds-aveugles et sourds-malvoyant : http://www.cresam.org

Je vous conseille également le reportage photos de Nicolas Landemard et publié sur le site du Monde : Les emmurés : vivre sourd et aveugle

Problèmes de communication et place de l’interprète

Traduisant récemment une réunion ou le principal interlocuteur était totalement incompréhensible, aussi bien pour les sourds que pour les entendants, je me faisais la réflexion qu’il ne faut pas croire que la présence d’un interprète en langue des signes (ou dans une autre langue d’ailleurs) est une solution miracle pour garantir par sa seule présence une communication parfaite.

Ainsi, comme interprète en LSF, j’ai noté différents cas de figure où la communication était inexistante, aucun échange n’avait lieu :

  • un dialogue qui tourne en monologue (un dialogue de sourds en quelque sorte!). Par exemple, un locuteur réputé détenir un savoir confisque la discussion sans laisser son interlocuteur intervenir ;
  • lorsqu’un interlocuteur est atteint d’une « crise d’autorité ». Par exemple un patron veut marquer son pouvoir et ne prête aucune attention aux réactions de ses employés ;
  • un niveau de langue inadapté entrave la communication. Par exemple un spécialiste utilise volontairement un lexique ou des tournures de phrases que son auditoire ne peut saisir.

Les exemples de situations de non-communication sont nombreux et dans ces cas, l’interprète ne peut pas faire grand chose.

Par contre, il est essentiel que l’interprète (et surtout l’interprète en langue des signes) n’interfère pas dans les échanges par une présence trop voyante d’où la nécessité de trouver sa place, de décider précisément où se positionner afin d’assurer entre les personnes présentes une bonne communication.En effet, et c’est là le paradoxe, contrairement à nos collègues en langue vocale, nous devons, par nature être visible tout en essayant de se faire oublier.

Comme je l’ai déjà souligné, nous avons comme tâche première de permettre l’échange entre deux interlocuteurs (au moins), d’être un pont. Nous ne rentrons pas dans la discussion, nous tâchons d’être transparent.
A ce sujet, de nombreux débats ont régulièrement lieu entre spécialistes sur la transparence ou la non transparence de l’interprète.
Selon la « doctrine officielle » l’interprète est totalement transparent, il ne fait que traduire les propos énoncés sans rien ajouter ni enlever. Pourtant, la comparaison entre des traductions effectuées par différents interprètes à l’écrit ou en vidéo pour les interprètes/traducteurs en langue des signes montre bien que chacun d’entre eux laisse toujours passer un peu de sa subjectivité.

Sur un plan plus pratique, lorsqu’un sourd et un entendant discutent, l’interprète en langue des signes se place à coté de l’entendant, légèrement en retrait ce qui lui permet à la fois d’être face au locuteur sourd (indispensable pour une bonne communication en langue des signes) tout en étant en dehors du champ de vision du locuteur entendant, évitant ainsi que ce dernier regarde l’interprète plutôt que la personne sourde. Cela permet d’éviter les phénomènes de triangulation, comme lorsque le locuteur entendant, s’adressant à l’interprète débute ainsi chacune de ses phrases : « dites-lui que…« . Là, l’interprète n’est plus du tout transparent, il est présent dans la communication elle-même, donc il la perturbe.

Il existe alors différentes solutions pour sortir de cette ambiguïté. Par exemple, lorsque l’interprète sait que locuteur sourd connaît bien le métier d’interprète, il traduit en langue des signes tel quel : « dites-lui que…« , et la personne sourde se charge alors d’expliquer à l’entendant qu’il peut s’adresser directement à lui et non à l’interprète. Parfois, si les explications nécessaires à une bonne communication ne viennent pas ou ne sont pas suffisantes, l’interprète peut être obligé d’intervenir quelques minutes pour expliquer brièvement son rôle aux deux parties et les aider à mieux communiquer entre elles.
Bien évidemment, s’ils sont assis l’interprète est assis, s’ils sont debout l’interprète est debout.

Par ailleurs, habituellement l’interprète emploie le « je » lorsque le locuteur parle de lui même, ce qui parfois déroute les personnes non habituées à utiliser un interprète. Cette prise de rôle est toutefois une condition nécessaire pour que, petit à petit, l’interprète lui-même s’efface, les interlocuteurs s’adressant alors directement la parole, une communication fluide s’établissant.

Rester neutre

Après avoir lu certains de vos commentaires, il me semble intéressant de revenir sur le principe de neutralité chez l’interprète en langue des signes.

Selon l’article 3 du Code déontologique de l’Afils, « l’interprète ne peut intervenir dans les échanges et ne peut être pris à partie dans la discussion. Ses opinions ne doivent pas transparaître dans son interprétation ».

Cette neutralité est essentielle notamment dans les interprétations dites de liaison, lorsque l’interprète intervient entre deux ou trois personnes pour des entretiens d’embauche, un rendez-vous chez un architecte, des consultations médicales, des entretiens parents/professeurs, des rendez-vous à la MDPH, chez le notaire ou l’avocat…

Etre neutre (et on le comprend aisément) c’est d’abord faire attention à son attitude, bien se placer et réussir à être le plus transparent possible pour ne pas interférer dans les échanges.

Mais rester neutre c’est aussi parvenir à ne pas se laisser déstabiliser par les apartés, les questions que vous pose fréquemment l’interlocuteur entendant.
Par exemple, je traduisais dans une école maternelle un entretien entre un parent d’élève sourd et un professeur. Soudain le professeur se tourne vers moi et me demande « je serais curieux de savoir comment vous faites pour différencier dans votre traduction le mot chat du mot chatte ». J’ai tenté de faire comprendre à la personne sourde que le professeur s’adressait directement à moi en espérant qu’il l’interromprait et lui expliquerait qu’en tant qu’interprète je ne pouvais pas intervenir (les sourds étant plus habitués que les entendants au mode de fonctionnement des interprètes). Hélas ce ne fut pas le cas et le professeur insistant, j’ai dû un instant interrompre leurs échanges et expliquer, d’abord en français puis en LSF (pour demeurer néanmoins fidèle), que j’étais ici comme interprète et que je ne pouvais pas en plus endosser le rôle d’enseignant en langue des signes. Donc soit la personne sourde lui expliquait directement (et je l’aurais traduit), soit nous en parlerions à l’issue de la réunion (le tout enrobé d’un large sourire et prononcer d’une voix fort diplomatique pour ne vexer personne).

Avec cet exemple on pourrait croire que rester neutre est facile qu’il suffit pendant un entretien de ne pas dire « ah oui lui il a raison » ou bien « ah non je ne suis pas d’accord« . Ce n’est malheureusement pas toujours aussi simple à concevoir et à vivre. Voici un exemple pour illustrer mon propos et montrer les implications que peut avoir ce concept qui ne cesse d’interroger les interprètes.

Une consultation médicale dans un hôpital parisien.

Une patiente, sourde, est reçue par un médecin du service de cancérologie. Un peu perdue, elle est ici pour qu’il lui remette les dates de sa prochaine hospitalisation en vue d’une nouvelle série de traitements et notamment des séances de chimiothérapie. À la question du médecin (que je traduis) « comment allez-vous ? », elle se lance dans un long monologue cherchant à faire comprendre que ça ne va pas bien, qu’elle n’a plus faim, qu’elle perd un peu la tête, la preuve, elle a failli oublier la date du rendez-vous, elle mélange les jours de la semaine…

Durant ce temps, le médecin, qui ne semble pas l’écouter (là c’est un jugement subjectif de ma part) remplit des fiches sur les futurs traitements. Puis il relève la tête vers elle, l’interrompt et lui demande si elle pense partir en vacances avant son admission. Elle explique que non, car elle est seule, sans enfant… Bref cette femme cherchait à communiquer ses angoisses et ses interrogations à son praticien qui manifestement s’en fichait, volontairement ou pas. À la fin il lui dit simplement : « parfait, on se revoit le 17 pour le traitement, tout ira bien ». Puis il lui remet deux ordonnances presque identiques sans lui expliquer que l’une est pour l’hospitalisation et l’autre pour un traitement à prendre quelques jours avant. Et il nous salut puis nous indique la porte pour sortir.

Evidemment je me suis « contenté » de traduire leurs échanges et une fois l’entretien fini je suis parti. Quelques instants plus tard, je devais apercevoir cette même dame assise un peu plus loin sur un banc essayant d’analyser ce qui venait de se passer et incapable de comprendre pourquoi elle avait deux ordonnances entre les mains (là encore c’est un jugement subjectif de ma part) les explications du médecin ayant été quasi-inexistantes.

Dans ce cas présenté, il n’était pas « techniquement » difficile de rester neutre, il suffisait simplement de ne pas intervenir et de traduire fidèlement les propos de chacun.
Néanmoins, en tant qu’interprète on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine empathie pour tel ou tel usager et sa position de neutralité peut troubler parfois son affect en lui donnant peut-être, le sentiment d’abandonner la personne à son sort (il aurait été tellement plus facile d’aller voir cette dame et de lui dire : « attendez je vais tout vous expliquer », de prendre la posture de l’interprète-sauveur). Durant leur entretien, il était manifeste que la patiente demandait de l’aide, des explications voire un soutien moral et qu’en retour son médecin l’ignorait. Mais ce n’est pas à l’interprète de régler cette situation, de signaler au médecin que cette dame souffre, qu’elle ne comprend rien à ses propos et qu’il pourrait faire un peu plus attention à elle. Et ce n’est pas non plus à l’interprète de réexpliquer à cette femme ce qu’a voulu dire son médecin, quelles sont ses prescriptions (imaginez en plus que j’ai mal compris et que je me trompe dans la posologie). Enfin, n’oublions pas que, peut-être, l’attitude du médecin était intentionnelle et bien sur ce n’est pas à l’interprète de juger s’il a tort ou raison. Pour pousser jusqu’à la caricature ce raisonnement, le médecin fait peut-être exprès d’être désagréable et la patiente volontairement veut faire croire qu’elle ne comprend rien. Et il me semble que face à une personne entendante il aurait eu la même attitude.
Le rôle de l’interprète n’est pas de sonder les corps et les âmes, d’essayer de comprendre les intentions de chacun (dans ce cas il courrait à la catastrophe se trompant régulièrement dans ses analyses). Il est juste là pour traduire des propos en interférant le moins possible des les échanges.

Garder sa neutralité est donc un principe intangible et il faut s’y tenir car en dehors de toutes les justifications professionnelles et déontologiques, c’est d’abord pour l’interprète un moyen de se protéger, d’éviter un trop grand sentimentalisme qui pourrait perturber sa rigueur, son professionnalisme voire sa vie personnelle.
Cela est particulièrement vrai avec les consultations médicales où l’on pénètre dans le plus intime de la personne avec parfois des médecins qui manquent cruellement de compassion ou d’écoute pour leurs malades.