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Quoi de neuf, Docteur ?

C’est sous ce titre que se déroulera les 9 et 10 septembre 2017 à Toulouse, un cycle de conférences organisé par l’Association française des interprètes et traducteurs en langue des signes (AFILS) et le Forum européen des interprètes en langue des signes (Efsli).

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Durant 2 jours, plus de 250 participants venant de toute l’Europe sont attendus à Toulouse : sourds, entendants, interprètes et traducteurs en langue des signes ou en langue vocale, linguistes, spécialistes de l’accessibilité, intermédiateurs, représentants de la communauté sourde, professionnels du monde médical, universitaires, etc.

L’objectif de ce colloque est d’offrir un lieu d’échanges à toutes les personnes œuvrant dans ce domaine, ou intéressées de près ou de loin par le sujet : « Interpréter le soin (médical, mental et autres domaines de santé) ».

En effet, l’accès aux soins pour les personnes sourdes communiquant en langue des signes est compliqué par la barrière linguistique.
De la prise de rendez-vous à la consultation médicale (généraliste ou spécialisée, psychiatrique, dentaire…) de la création du dossier administratif à la demande de remboursements (selon les différents systèmes nationaux de santé), de la lecture de l’ordonnance au séjour dans un centre de rééducation… la présence d’un interprète en langue des signes est souvent indispensable.

A travers le thème de l’interprétation en milieu médical, il s’agira de réfléchir et d’échanger  sur la place de ces professionnels au milieu des blouses blanches (faut-il qu’ils en portent une d’ailleurs ? ).
Les interprètes en langue des signes doivent-ils suivre une formation spécifique ?
Quel est le rôle de « Medisigns » ?
Existe-t-il des stratégies d’interprétations particulières ?
Quid de la terminologie médicale ?
Quel binôme forment-ils avec les professionnels sourds (intermédiateurs, interprètes…) ?
Comment gèrent-ils leur propre stress ?
Quel regard porte le patient sur les interprètes en langue des signes (et réciproquement) ?

Plus largement, comment d’autres champs de recherche (traductologie, linguistique, sociologie, ethnologie) envisagent-ils la présence des interprètes ?

D’autres thèmes pourront être abordés comme l’interprétation des formations pour les professionnels médico-sociaux sourds, comment les interprètes en langue des signes ont pu intégrer les dispositifs d’alerte lors d’épidémies (sida, grippe aviaire…) et lors de campagnes d’information menées par les pouvoirs publics.

Plus d’infos sur le programme et l’organisation de ces rencontres :
– en aimant la Page Facebook : https://www.facebook.com/efsli2017 
– en s’abonnant au fil Twitter : @efsli2017

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Signes extérieurs : la Belgique en manque d’interprètes

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Troisième escale : La Belgique où, en raison d’une pénurie d’interprètes en langue des signes belge francophone (LSBF) – il existe aussi une langue des signes belge flamande, en néerlandais : Vlaamse Gebarentaal (VGT) – de nombreux sourds ne peuvent bénéficier de la présence de ce professionnel diplômé pour leurs besoins quotidiens, privés ou professionnels.

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Le métier d’interprète en langue des signes est essentiel pour garantir l’indépendance de ceux qui sont atteints de surdité. Ces professionnels ont pour but de les accompagner dans leurs activités quotidiennes et professionnelles (comme une visite chez le médecin, le notaire, ou tout simplement commander une pizza). Mais la Fédération Wallonie-Bruxelles ne compte qu’une vingtaine d’interprètes (qui n’exercent pas tous de façon régulière). Un nombre largement insuffisant pour répondre à la demande de la part des sourds.

« Pour pouvoir bénéficier d’un interprète, les sourds s’adressent ou à l’Aviq (Wallonie) ou au Phare (Bruxelles), mais très souvent, les délais sont longs et les refus nombreux. Le plus surprenant, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’un problème de financement, il y a juste un vrai manque de professionnels », explique Pascaline Brillant, interprète en langue des signes depuis 10 ans.

Face à cette situation, les sourds se débrouillent comme ils peuvent. « Au bout de plusieurs refus, ils baissent les bras et demandent à quelqu’un de leur entourage de les accompagner. Mais ce peut être dérangeant car ils perdent une partie de leur autonomie et n’ont parfois pas envie que leurs proches soient au courant de leurs problèmes médicaux par exemple, alors qu’un interprète est tenu au secret professionnel », poursuit Mme Brillant.

Pour faire face à cette pénurie, des alternatives se développent. Parmi elles, le Relais Signes, qui permet aux personnes sourdes de communiquer par téléphone. Le fonctionnement est simple : la conversation se fait via un ordinateur et une webcam. L’interprète fait alors la traduction de la langue des signes en direct vers l’interlocuteur à l’autre bout du fil. Mais là aussi, le personnel manque : « Pour le moment, le service n’est disponible que le matin, et il est victime de son succès, il y donc des files d’attentes… », note Pascaline Brillant.

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Autre souci : il n’est, en théorie, pas possible de recruter des interprètes français pour venir exercer chez nous. La langue des signes n’est en effet pas universelle et de très nombreuses différences existent entre elles. Ceux formés à l’étranger doivent donc s’adapter avant de pouvoir travailler chez nous.

La formation belge, de son côté, n’en est encore qu’à ses débuts (voir ci-dessous). Les premiers professionnels francophones ne seront diplômés qu’en juin 2019. En attendant, les sourds devront continuer à se débrouiller par eux-mêmes, comme ils l’ont toujours fait jusqu’à présent.

Une vingtaine d’inscrits à la nouvelle formation

Depuis la rentrée 2015, la formation d’interprète en langue des signes est devenue universitaire. Organisée par l’Université Saint-Louis pour le bachelier et l’UCL pour le master, elle accueille 12 étudiants en deuxième année et 10 en première. Aucun élève n’a donc encore été diplômé. « Pour le moment, ceux qui font le travail d’interprète sont liés au monde de la surdité, mais ils n’ont, pour la plupart, pas reçu de formation particulière. Maintenant, ils peuvent bénéficier du même cursus que n’importe quel autre interprète », précise Anne-Sophie Lizin, coordinatrice de la cellule traduction-interpretation en langue des signes.

Elle ajoute : « Pour s’inscrire, il n’est pas nécessaire de connaître la langue des signes. Nous commençons à zéro. Autre point positif : compte tenu de la pénurie en Fédération Wallonie-Bruxelles, nos diplômés sont certains de trouver un travail directement à la fin de leurs études. » Un bel avantage quand on connaît la difficulté que peuvent avoir les jeunes diplômés à rentrer sur le marché de l’emploi.

DH.be – Langue des signes : grosse pénurie d’interprètes 

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© Stéphan – ( i ) LSF

Signes extérieurs – le Sultanat d’Oman et ses 6 interprètes

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Première escale : le Sultanat d’Oman avec seulement 6 interprètes en langue des signes pour 15000 sourds.

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Oman, monarchie indépendante située au sud de la péninsule d’Arabie a le deuxième plus grand nombre de sourds et malentendants dans la région après l’Arabie Saoudite mais seulement six interprètes en langue des signes d’après une étude menée par l’Association des personnes sourdes et malentendantes d’Oman (OAHI).

« En Arabie Saoudite on dénombre 88000 personnes sourdes ou malentendantes et au moins 15000 à Oman d’autant que notre étude n’a pas atteint des villages et tribus éloignés » rapporte Yaya Al Barashdi, membre de l’OAHI.

Afin de développer l’usage de la langue des signes et permettre aux sourd de mieux s’intégrer à la société, l’OAHI a créé en 2013, un 1er centre pour l’apprentissage de la langue des signes.

« Cet institut de formation permettra à tous, sourds et entendants, de se former à la langue des signes, y compris les employés de banque, les enseignants, les employés de plusieurs ministères et bien sur ceux qui voudraient devenir interprète en langue des signes » explique Hassan Ali, interprète en langue des signes et coordinateur du projet. « Il est indispensable que nous développions la formation d’interprètes en langue des signes car aujourd’hui nous n’avons que 6 professionnels certifiés ce qui ne suffit pas pour couvrir tous les besoins de la population sourde. »

« Il devrait être obligatoire de nommer au moins un interprète en langue des signes dans toutes les administrations et en particulier celles qui sont en contact avec le public »,  selon Al Amri, sourds et membre de l’OAHI.

Bonne élève, la Police Royal d’Oman (ROP) a choisi d’être le 1er service public dans le Sultanat à déployer des interprètes en langue des signes dans toutes ses unités.
Pour cela la ROP a proposé aux membres de son personnel de suivre la formation pour devenir interprètes en langue des signes ; ces agents seront ensuite placés dans les différents postes de police à travers le pays. « Notre objectif initial est de fournir au moins un agent formé dans chaque zone ou wilayats » déclare Al Badai reponsable du programme de formation pour les policiers.

« Il est temps pour les autres ministères de suivre les traces de la ROP » affirme Ahmad Al Amri. Il espère notamment qu’une telle décision facilitera l’embauche des personnes sourdes.

« Il est très difficile pour les sourds de trouver un emploi car les entendants ne pratiquent pas la langue des signes. Former des interprètes est donc indispensable » remarque Hassan Ali.
Pareil dans les écoles où « trop d’enfants sourds sont déscolarisés car ils ne peuvent pas suivre les cours. »

« En raison du manque d’interprètes nous nous sentons coupés du reste de la population » conclut  Al Barashdi de OAHI.

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Times of Oman – Oman has just six interpreters to help 15,000 hearing impaired 

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© Stéphan – ( i ) LSF

Interprète en langue des signes : un métier d’avenir ?

Oyé oyé !

Marie-Laure Saurel, interprète F/LSF proposera jeudi 12 décembre à 19h00, bibliothèque Chaptal, Paris 9ème, une conférence intitulée :

« Interprète en langue des signes française, un métier d’avenir ? »

Je serai bien sur présent et je ne peux que vous encourager à venir assister aux débats si ce thème vous intéresse.

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Est-il utile de préciser que d’autres interprètes F/LSF seront là pour traduire cette conférence ?

http://dai.ly/x17ep30

7 conseils pour bien accueillir un interprète en langue des signes

Il y a quelques mois je vous proposais 7 astuces pour martyriser un interprète en langue des signes.

Aujourd’hui, plus sérieusement, voici quelques conseils sous forme de 7 questions/réponses pour vous permettre d’accueillir et de travailler en bonne harmonie avec un interprète en langue des signes.

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Pour cela, imaginons que dans quelques jours vous participez à une petite réunion ou un entretien individuel en présence d’un ami, d’un collègue, d’un usager sourd.

La présence d’un interprète F/LSF n’étant pas habituelle, vous allez immanquablement vous poser des questions comme :

1- Ai-je vraiment besoin d’un interprète en langue des signes ?

Oui si la langue première (ou maternelle) de la personne sourde est la langue des signes.
Mais être sourd ne signifie pas automatiquement être locuteur en langue des signes. En effet, au sein de la communauté sourde se trouve des profils variés, il n’y a pas un type de sourd comme il n’y a pas un type d’entendant : ça va des sourds légers aux sourds profonds, des nés sourds aux devenus sourds…
Pour certains sourds leur langue d’apprentissage et d’expression naturelle est la LSF (le français écrit n’ayant été acquis que plus tard, comme une langue étrangère), d’autres en revanche ont été éduqués dans l’oralisme et s’expriment plutôt en français en utilisant la lecture labiale.
Néanmoins il faut savoir que la lecture labiale (pour les sourds appareillés par exemple), ne fonctionne que si les deux interlocuteurs sont face à face. De plus elle exige une concentration intense, elle fatigue rapidement. D’ailleurs on ne comprend que 25 à 30% du message, le reste du discours étant reconstruit grâce au contexte, à l’ingéniosité du sourd…

D’autres encore préféreront peut-être passer par l’écrit. Mais c’est long, ça manque de réactivité c’est plus laborieux.

Il est donc important de demander à la personne sourde dans quelles conditions elle souhaite que se déroule l’entretien ou la réunion, en utilisant quel mode de communication pour éviter de faire venir un interprète en langue des signes pour rien.

Par chance, dans le cas présent, la langue maternelle de votre collaborateur sourd est la langue des signes française (que vous ne pratiquez pas). C’est pourquoi vous avez pensé à réserver un interprète F/LSF diplômé. Bravo !

2- Faut-il installer l’interprète en langue des signes dans une pièce spécialement aménagée ?

Non, et contrairement à mes collègues interprètes en langues orales nous n’avons pas besoin de cabines ou de casques audios.
Il faut juste vérifier quelques détails en se rappelant simplement que la communication entre la personne sourde et l’interprète s’établissant via le regard, c’est lui qu’il faut privilégier (ou protéger).
Ainsi on évitera de placer l’interprète devant un mur bariolé (façon arc-en-ciel) ou couvert de tableaux reproduisant des oeuvres de Picasso, Miro ou Nicolas de Stael. Le mieux est de le placer devant un fond uni pas trop clair.
Idem, on n’installera pas l’interprète dos à une fenêtre la personne sourde en le regardant risquant d’être éblouie, gênée par le contre-jour.
La pièce doit être bien éclairée (lumière naturelle ou artificielle). S’il est prévu de projeter des documents ou un film non sous-titrés (que l’interprète devra donc traduire), pensez, si vous diminuer l’éclairage, à garder un point lumineux sur l’interprète pour qu’il puisse être vu.

3- Dois-je m’asseoir en face de l’interprète ?

Non, à coté.
En effet, la personne sourde doit être assise face à l’interlocuteur principal l’interprète s’asseyant à coté de ce dernier. Il est important que la personne sourde puisse voir celui ou celle qui s’exprime tout en ayant accès à la traduction.
Dans tout discours, vous adressez deux messages bien distincts à votre auditoire. Le premier par votre voix (ou les signes via l’interprète), le second par votre apparence, vos attitudes et vos mouvements. Or, des recherches ont montré  que plus de la moitié des communications humaines se fait de façon non verbale. Lorsque vous parlez devant un groupe, vos auditeurs jugent le message et le messager. Les personnes sourdes doivent également avoir accès à ces informations en vous regardant tout en recevant la traduction du discours.

4- L’interprète peut-il m’aider durant l’entretien ?

Non, car il est uniquement là pour permettre une communication fluide, totale et sans malentendus entre sourds et entendants. Aussi, durant sa prestation évitez de lui poser directement des questions sur son métier, son parcours, la surdité ou de lui demander un conseil car il ne pourrait pas en même temps traduire et répondre à vos question.
En outre comme le précise son code déontologique article 3, il est neutre : « L’interprète ne peut intervenir dans les échanges et ne peut être pris à partie dans la discussion. Ses opinions ne doivent pas transparaître dans son interprétation ». 

En revanche une fois l’entretien fini vous pourrez bien sur lui poser toutes les questions que vous voudrez et, en accord avec la personne sourde, il se fera un plaisir de satisfaire votre curiosité.

5- Dois-je parler lentement ?

Non.
Parlez exactement comme vous le faites habituellement, essayer d’oublier la présence de l’interprète. On pense à tort que les langues gestuelles seraient plus lentes à exprimer des idées… C’est faux, en deux signes on peut parfaitement traduire une phrase de plusieurs mots.
Simplement s’il y a de nombreux noms propres ou autres sigles pensez à les épeler pour être sur que l’interprète les dactylologiera correctement.
Et s’il rencontre la moindre difficulté à comprendre votre discours ou si vraiment vous parlez trop vite, il n’hésitera à vous arrêter pour vous demander des éclaircissements.
Nous avons un devoir de fidélité dans l’interprétation. C’est à dire que nous devons tout traduire. Si nous ne vous comprenons pas ou que nous n’avons pas eu le temps de traduire la liste complète des nouveaux embauchés on vous demandera très gentiment de bien vouloir répéter.

D’ailleurs cette obligation de fidélité fera que nous signalerons tous les événements sonores qui pourraient se produire durant la réunion : le téléphone de l’un qui ne cesse de sonner et qui perturbe tout le monde, la perceuse électrique dans la pièce d’à-coté, le coup de tonnerre qui fait sursauter tout le monde…

6- Puis-je faire confiance à l’interprète F/LSF ?

Oui, vous pouvez tout dire, évoquer les secrets industriels de votre entreprise, délivrer des informations médicales, révéler une stratégie ultra-confidentielle pour faire couler une société concurrente etc, il ne répétera rien.
Tous les interprètes en langue des signes ayant suivi un des 5 cursus universitaires reconnus par l’Afils, respectent le secret professionnel qui leur est imposé ainsi que le stipule l’article 1 du code déontologique de l’Afils (Association Française des Interprètes en Langue des Signes) : « L’interprète est tenu au secret professionnel total et absolu dans l’exercice de sa profession à l’occasion d’entretiens, de réunions ou de conférences non publiques. L’interprète s’interdit toute exploitation personnelle d’une quelconque information confidentielle ».

7- Un interprète peut-il traduire 2 heures sans prendre de pause ?

Non car ce n’est pas une machine.
Généralement on considère que pour garantir une interprétation de qualité un interprète ne peut travailler plus de 50mn d’affilées. Donc, si votre réunion doit durer une heure et demi / deux heures il faudra prévoir une pause d’une dizaine de minutes pour qu’il puisse reposer ses mains et son cerveau. Si la réunion doit durer plus de 2 heures ou que vous ne pouvez pas aménager de pause alors vous devrez prendre 2 interprètes qui se relaieront toutes les 15mn environ.

Et si, cerise sur le gâteau, le matin vous l’accueillez en lui proposant un café et quelques viennoiseries ou, en fin d’après-midi vous lui servez une coupe de champagne accompagnée de petits fours soyez assurés qu’il vous sera éternellement reconnaissant de cet accueil chaleureux.

Quelles qualités pour un interprète en langue des signes ?

Malheureusement ces dernières semaines je ne consacre pas assez de temps à mon blog mais je suis sur que cela n’est que temporaire.
Heureusement d’autres que moi s’intéressent au métier d’interprète en langue des signes. Et leurs écrits me permettent d’alimenter notre réflexion.

Ainsi, l’Association « Bébian, un autre monde » a consacré son numéro de rentrée aux interprètes en langue des signes.

A travers le témoignage de cinq interprètes professionnels, ce journal dresse un joli portrait de notre profession, dont la mission est d’abord de « rendre intelligible la parole de l’Autre, vocale ou gestuelle. Tache aussi fondamentale qu’ardue car il ne s’agit pas tant de naviguer entre 2 langues que de saisir l’intention, la pensée, qui avec toutes ses nuances, s’exprime à travers un système linguistique, pour la restituer avec un respect maximal. »
Cela demande donc des qualités, des connaissances particulières. Ainsi comme le rappelle Guylaine Paris, interprète F/LSF et ancienne présidente de l’Afils, « il s’agit d’un métier de la communication. Il faut donc avoir les qualités de ce type de profession : politesse, savoir-vivre, patience, être à l’aise dans les relations humaines. De plus, du fait que notre travail consiste à prendre la parole de quelqu’un pour la transmettre à une autre personne, l’humilité doit être de mise, il ne faut pas se mettre en avant. Il faut avoir conscience qu’une parole est fragile et que lorsqu’on nous la confie, elle doit être manipulée avec précaution, ce qui implique d’être attentif à l’autre, soigneux et rigoureux. Il y en a bien d’autres bien sur : l’honnêteté, la curiosité, l’autonomie, le contrôle de soi. Il ne s’agit pas d’être parfait mais d’avoir conscience que ces qualités permettent d’instaurer un climat de confiance qui permet de travailler plus sereinement donc mieux. »

Pour poursuivre la lecture de cette interview et découvrir les autres, cliquez sur l’image :

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La page Facebook de l’Association Bébian, un Autre Monde

L’arnaque du couteau suisse

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Couteau suisse : c’est ainsi qu’une de mes professeures d’interprétation F-LSF, surnommait les interfaces de communication en langue des signes françaises (LSF) car ils se prévalent souvent d’une myriade de compétences  et de références impressionnantes qui dissimule en réalité une absence de qualités professionnelles. Un peu comme cet instrument qu’on croit universel mais qui finalement ne coupe pas très bien le saucisson, débouche mal les bouteilles, décapsule difficilement les bières et ne scie pas du tout les branches des arbres.

L’exemple ci-dessous (merci à Didier pour cette trouvaille), ou cette autre annonce parue le lendemain sur le site leboncoin.fr, résume parfaitement la situation ambiguë de ces personnes qui se présentent comme des professionnels de la langue des signes française (interface, médiateur, professeur, traducteur, interprète…) mais qui en fait ne possèdent ni diplôme ni parcours universitaire ou même études supérieures justifiant une telle mise en avant.

Souvent, parce qu’ils ont suivi une initiation à la LSF de quelques semaines ou parce qu’ils ont des parents sourds, ils ou elles se jugent parfaitement à même d’exercer nombre d’emplois demandant une compétence en langue des signes (que malheureusement ils ne possèdent pas). Mieux certains imaginent même pouvoir enseigner cette langue qu’ils pratiquent si maladroitement !

Pour mieux comprendre ce que représente ces petites annonces, imaginez simplement votre réaction devant une personne qui, se souvenant vaguement de ses cours d’anglais en 6ème, se présenterait à vous comme experte en cette langue !!!

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Néanmoins je ne souhaite pas ici jeter l’opprobre sur les associations qui permettent un rapprochement entre les sourds et les entendants grâce notamment à des animateurs/trices qui, bien que maîtrisant parfois mal la LSF, proposent des activités à des personnes sourdes et/ou entendantes dans le but d’aider ces deux communautés à mieux se connaître ou bien qui organisent des permanences d’accueil et d’écoute au sein d’administrations publiques.
Ils font oeuvre de médiation certes – parfois sans la présence d’interprètes, hélas – mais au moins ils ne s’arrogent pas des titres ou des fonctions qu’ils ne possèdent pas.

Ce que je dénonce inlassablement au fil de mes billets (malgré les nombreuses critiques que cela me vaut comme celle-ci ou celle-là) ce sont des individus comme « Martin » qui, n’ayant suivi aucune formation diplômante, s’arroge le droit d’exercer une activité auprès d’un public souvent fragilisé car mal intégré dans la société française, peu informé, manquant de repères.

Ce sont ces personnes illégitimes que j’accuse effectivement d’exploiter la faiblesse et la naiveté de certaines personnes sourdes pour leur propre bénéfice (financier bien sur) et le contentement de leur ego (« regardez comme je suis gentil, j’aide les sourds »).
Cette annonce parue sur leboncoin.fr en est la preuve éclatante et malheureusement, un peu partout en France, des personnes bien ou mal intentionnées profitent du flou entourant la reconnaissance de la profession d’interprète en langue des signes française pour arnaquer des personnes sourdes ou malentendantes.
Cela doit donc nous motiver nous, les interprètes F-LSF, à nous battre pour obtenir enfin des pouvoirs publics une reconnaissance officielle de notre activité d’interprète/traducteur afin d’éviter ce type d’arnaque.

Quand on lit l’annonce ci-dessus on a envie de rire, mais, comme l’écrit un de mes collègues interprète, « interpréter sans compétence, c’est mettre en danger les usagers ». Imaginer simplement les dégâts que cause cette femme en traduisant n’importe comment une consultation médicale…

Pater noster – Padre nostro – notre Père

L’annonce, la semaine dernière, de l’élection du cardinal Jorge Mario Bergoglio sur le trône de Saint-Pierre a donné lieu à une jolie controverse sur la mauvaise qualité de l’interprétation de l’italien vers le français des  prières « Notre Père » et « Je vous Salue Marie » que François 1er récitait du haut de son balcon.
Sur TF1, la traduction fut hésitante, les phrases bizarrement construites si on se réfère au texte traditionnel de la première, l’interprète délivrant une traduction littérale et non la version habituelle en français de la prière comme le montre cette vidéo :

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C’est ainsi que sur le forum du site de TF1, on pouvait lire des messages critiques postés par les internautes déboussolés : « j’ai tenté de suivre hier sur votre chaîne les premières images et surtout les premiers mots du Pape François. Le Pape avait choisi de s’exprimer en italien et à juste titre vous disposiez d’une traductrice. Les hésitations à répétitions et les absences de traduction ont rendu incompréhensibles les propos du Pape. La tentative de traduction littérale des deux prières connues par plus d’un milliard de personnes sur Terre a été le sommet. Ce n’était pas digne de l’événement. »

Plus étonnant est le débat qu’a ouvert le site internet « Arrêt sur Image » en se demandant si « la traductrice se devait de connaître le Notre Père, alors que TF1 est une chaîne généraliste et laïque ? » Et d’ajouter : « traduire le Notre père en le récitant, est-ce de la culture ou de la religion ? »

Avant d’essayer de répondre à cette question, il faut d’abord rappeler que tous les interprètes/traducteurs doivent posséder une connaissance approfondie (sociale, culturelle, politique…) des deux communautés pour lesquelles ils travaillent, sourds et entendants pour les interprètes en langue des signes. C’est par exemple connaître les productions artistiques des deux communautés (pièces de théâtre, poèmes…) les événements historiques,, les personnages célèbres, les discours emblématiques… pour être capable de traduire au plus juste un locuteur qui y ferait allusion.
Ainsi que le souligne Daniel Gile« certains termes et expressions, notamment les termes culturels sont indissociables d’un fait historique, d’un environnement social, d’une affectivité propre à une communauté linguistique, qui ont des incidences textuelles à travers des nuances dans des emplois et des sens. » 

Or, alors que l’interprète fait d’habitude le choix de ne traduire que le sens, souvent au détriment de la forme (surtout quand il travaille dans l’urgence, en interprétation simultanée) dans ces situations ou la référence culturelle est prégnante (comme lors de cérémonies rituelles) et où la forme elle-même devient porteuse de sens il se doit de la respecter intégralement, l’objectif premier étant, bien sur, que le message soit compris. C’est seulement ainsi qu’il sera réellement fidèle au discours et à l’intention du locuteur.
En modifiant la forme de phrases que certains téléspectateurs ont apprises par coeur lors de cours de catéchisme, l’interprète a rendu ces phrases incompréhensibles non parce que le sens était faux ou peu clair mais parce qu’elles n’étaient plus reconnues.

Sans vouloir accabler ma collègue qui officiait ce soir là durant la grande messe du 20h (nous ne connaissons ni le contexte de son intervention, ni ses conditions de travail) sa mésaventure nous rappelle en outre qu’il faut posséder une culture générale de qualité quand on veut exercer le métier d’interprète quelles que soient les langues de travail.
En l’occurrence, on peut imaginer qu’un interprète intervenant lors de l’élection d’un pape va, à un moment ou un autre, se trouver à devoir traduire des textes « normés » (comme les prières). D’où la nécessité d’avoir une bonne culture religieuse dans les deux langues pour pouvoir traduire justement en respectant et le fond et la forme non seulement de ces textes mais aussi le vocabulaire spécifique comme camerlingue, protodiacre…

D’ailleurs, comme le stipule l’article 2 du deuxième titre du code éthique de l’Afils (Association Française des Interprètes en Langue des Signes) : « l’interprète s’engage, dans la mesure du possible, à se former dans le but de répondre aux besoins des usagers. »

Cela signifie, pour poursuivre sur le thème du religieux, que si un interprète est amené à traduire en LSF (par exemple) un mariage ou un enterrement suivant le rite catholique il fera auparavant des recherches pour savoir si des sourds ou d’autres interprètes ont déjà proposé des traductions des textes ou des prières qui seront lus ou, si ce n’est pas le cas, il réfléchira à des stratégies d’interprétation pour tel ou tel terme ou expression.
Il pourra par exemple se reporter au DVD « L’Evangile de Luc traduit en LSF » dont je vous ai déjà parlé lors d’un précédent billet.
Idem s’il traduit un événement en lien avec la religion musulmane, il pourra certainement trouver des informations précieuses en consultant le site « Donne Moi un Signe. »
Mais cela nécessite donc d’avoir du temps pour la préparation afin de garantir une traduction de qualité ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.

Par conséquent, se demander si, en exigeant d’un interprète traduisant une cérémonie au Vatican qu’il connaisse la version française du « Notre Père », ce serait renoncer à l’exigence de laïcité de l’espace publique (la télévision en l’occurrence) est absurde.
En tant qu’interprète, quand je traduis un événement catholique je me dois de connaître les principales prières non pour des motifs religieux (je laisse mon éventuelle foi de coté quand je travaille car je suis neutre) mais simplement car mon travail pour être compris de tous, doit respecter les références socio-culturelles de chacun.
C’est comme cela que l’interprète est le médiateur entre deux langues, mais aussi entre deux cultures, le pont entre deux communautés.

À lire également : cet intéressant point de vue sur le blog « Les Piles Intermédiaires » .

En cliquant sur ce lien vous trouverez quelques éléments sur comment traduire le Notre Père en LSF : « L’atelier de traduction : Notre Père en LSF »

Présentation du métier d’interprète en langue des signes

Il me semble intéressant en ce début d’année (et aussi pour répondre collectivement aux nombreux mails que je reçois qui me questionnent sur mon métier) de rédiger une présentation synthétique du métier d’interprète en langue des signes française.

Métier ILS

1/ Son rôle
L’interprète est un professionnel formé aux techniques d’interprétations et diplômé. Il intervient aussi bien pour les personnes sourdes que pour les personnes entendantes en interprétant tous les échanges. C’est un pont linguistique et culturel entre deux communautés, celle des sourds et celle des entendants.
Il est bien sûr bilingue et biculturel (il est indispensable d’avoir une excellente connaissance de la culture sourde).
Il favorise aussi l’accessibilité à la vie quotidienne, professionnelle, sociale, culturelle et citoyenne des personnes sourdes qui s’expriment en langue des signes (française en l’occurrence).

Contrairement aux interprètes de langue vocale qui ne travaillent généralement que vers une langue, l’interprète en langue des signes travaille « dans les deux sens » :
il interprète les discours émis en français (oral) vers la langue des signes ou les discours émis en langue des signes vers le français (oral).
Il traduit les textes écrits en français vers la LSF et les discours signés en LSF vers le français écrit.

L’interprète respecte le code éthique de sa profession tel qu’il a été défini par l’Association Française des Interprètes/Traducteurs en Langue des Signes (AFILS). Les 3 règles principales sont :

  • le secret professionnel : l’interprète est tenu au secret professionnel, il s’interdit toute exploitation personnelle d’une information confidentielle ;
  • la fidélité : l’interprète se doit de restituer le plus fidèlement le message en présence des parties concernées ;
  • la neutralité : l’interprète ne peut intervenir dans les échanges et ne peut participer à une conversation qu’il traduit. Il est particulièrement vigilant à rester neutre, aussi bien durant toutes les situations d’interprétation que durant les moments plus informels (pause-café par exemple).

2/ Ses différents types d’interventions
Nous interprétons des situations :

  • de liaison (rendez-vous professionnel, social, médical, juridique) ;
  • de réunion (entreprise, administration, réunion d’équipe) ;
  • de formation (milieu scolaire, universitaire, professionnel) ;
  • de conférence (Assemblée générale, séminaire, colloque, débat public, meeting) ;

L’interprète peut aussi intervenir en milieu artistique (visite de musées) , religieux (mariage, enterrement) ou à la télévision (traduction des journaux télévisés).
Il peut également interpréter à distance, via la visio-interprétation, afin de relayer un appel téléphonique entre un sourd et un entendant.

L’interprète peut refuser une intervention si, pour une raison éthique ou personnelle, il sent que sa prestation ne sera pas conforme à son code déontologique.

A noter : afin de fournir une interprétation optimale, un temps de préparation est indispensable. L’interprète (qui se doit bien sûr de déjà posséder une excellente culture générale) sollicite les intervenants en amont de ses interventions afin de recueillir des informations relatives au contenu des échanges et tout document susceptible de l’aider à améliorer et/ou faciliter sa prestation.

3/ L’organisation de son travail
Un interprète peut travailler :

  • en indépendant : auto-entrepreneur ou profession libérale ;
  • au sein d’un service d’interprètes en langue des signes comme salarié ou vacataire ;
  • au sein de diverses structures nécessitant les services d’un ou plusieurs interprètes comme les Instituts de Jeunes sourds, des établissements spécialisés, des structures hospitalières…

Une journée de travail correspond à 2 vacations (matin, après-midi ou soir) soit 4 heures d’interprétation effective.
En effet, afin de garantir une interprétation de qualité, le nombre d’heures maximum d’interprétation consécutive est de 2h par demi-journée (une pause de 10mn étant à prévoir à l’issue de la 1ère heure d’intervention).
Dans les situations nécessitant plus de 2 heures d’interprétation consécutive ou si l’aménagement d’une pause entre les 2 heures n’est pas possible, lors d’une conférence par exemple) un 2ème interprète est nécessaire selon deux modalités possibles :
– les 2 interprètes sont présents durant la période d’intervention avec un relais toutes les 15 à 20mn
– un interprète intervient seul pendant la première heure puis un 2ème interprète lui succède pour l’heure suivante (avec une présence conjointe en amont d’au moins 15mn, permettant d’assurer un passage de relais satisfaisant).

Bien que neutre et n’intervenant pas durant les échanges, l’interprète peut être amené à conseiller sur la situation d’interprétation pour garantir les bonnes conditions à son intervention telles que : configuration du lieu, organisation de la situation de communication, placement des différents intervenants, recadrage lorsque son rôle n’est pas bien compris avec si besoin explication des règles déontologiques, etc.

Il peut également endosser le rôle de tuteur pour des « élèves-interprètes » en formation.

4/ Sa rémunération
En début de carrière, la rémunération d’un interprète en langue des signes est modeste au regard des 5 années d’études supérieures nécessaires pour être diplômé : 1200 à 1500 € net par mois.
Ensuite, après quelques années d’expériences professionnelles elle devient très variable, en fonction des vacations effectuées, du statut…

5/ Une synthèse des compétences
Dans son mémoire de fin d’études mon collègue Christophe Ricono (qui travaille à Ex-aequo, Lyon) a proposé une synthèse des compétences requises par ce métier. Comme je ne ferais pas mieux qui lui, je reproduis son tableau :

compétences ILS

6/ Les contraintes du métier

  • disponibilité et souplesse (horaires non réguliers, décalés, nécessité de devoir répondre dans l’urgence à une demande, nombreux déplacements) ;
  • isolement professionnel ;
  • risques sur la santé dus à une usure physique et intellectuelle : TMS, stress, déplacements (douleurs dorsales…) ;
  • fatigue visuelle en visio-interprétation.

7/ Les diplômes d’interprètes F/LSF reconnus par l’Afils
Vous trouverez des infos plus détaillées sur les cursus proposés (Master 2, Bac +5) dans cet article : « devenir un interprète F/LSF diplômé« .

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Sources :
En plus des nombreux articles déjà publiés sur ce blog, pour des informations plus approfondies sur ce sujet, je vous conseille :
le site de l’Afils ;
– le mémoire de Christophe Ricono intitulé : « Regard sur les compétences des interprètes en langue des signes » (PDF).

Et d’aller rencontrer des interprètes en langue des signes pour discuter avec eux. Vous verrez, nous sommes très gentils !

PS : bien sur, cette description n’étant en rien exhaustive, n’hésitez pas à m’interroger si vous avez besoin de précisions ou d’éclaircissements.

Malaise au sein de la profession

C’est l’automne, la nature se pare de ses couleurs ocre, marrons, orange, les étudiants retournent à l’université. Parmi eux, on compte un nombre croissant de futurs interprètes français/langue des signes française. En effet, il existe à présent, en France, cinq formations universitaires (à Paris, Lille, Toulouse et récemment Rouen) qui délivrent le précieux diplôme Master 2 « Interprète F/LSF » reconnu par l’AFILS.
Spontanément on devrait se réjouir devant cette évolution positive. On se dit que l’offre va enfin combler la demande. On entend assez ici ou là que le nombre d’interprètes est insuffisant, qu’il faudrait plus de « vrais professionnels diplômés », donc d’étudiants…
On imagine facilement que l’avenir de ces derniers ou d’autres en reconversion professionnelle est assuré : depuis le vote de la loi du 11 Février 2005 pour l’égalité des droits et des chances la participation et la citoyenneté des personnes handicapées chaque administration, chaque entreprise bref, la société française dans son ensemble se doit d’être accessible à tous, quelque soit son handicap d’où la nécessité de former de plus en plus de personne vers ce métier.

Voici pour la théorie.

Malheureusement, depuis un an, la réalité sur le terrain est bien différente et en septembre 2011, la promotion arrivant sur le marché du travail (notamment en région parisienne) a dû déchanter : les services n’embauchent pas ou peu, seuls des postes de vacataires (c’est-à-dire pour une mission qui dure au plus un ou deux jours) sont proposés.

Comme l’écrit Laurent sur le blog de A.sourd, un service parisien d’interprètes en langue des signes française : « sans que personne ne voit rien venir, la profession a vu ses assurances ébranlées lorsque, à la rentrée 2011, les promesses d’embauche se sont transformées en des propositions bien moins alléchantes quand elles ne se sont pas simplement évanouies.

Un an après, tandis qu’une vingtaine d’interprètes arrivent en septembre sur le marché, la situation n’est pas réjouissante. Une rapide estimation donne une dizaine de postes équivalents temps plein disponibles à travers le pays alors même qu’une partie de la promotion précédente est toujours en recherche d’une certaine stabilité après avoir écumé deux, trois, voire quatre services tout au long de l’année écoulée.

Dans ce contexte, la réouverture d’une formation (laquelle a cependant été orchestrée avant ce malheureux virage) et l’apparition de formations préparatoires interrogent. Tout comme l’opacité qui règne au sein des formations d’interprètes qui s’apprêtent à accueillir des étudiants dont les chances de trouver du travail apparaissent aujourd’hui incertaines sans que l’information tende à être partagée. »

Cette inquiétude sur l’inadéquation entre l’absence de promesses d’embauches, la précarisation de cette profession et l’arrivée de promotions de jeunes interprètes toujours plus importante a d’ailleurs été dénoncée par Lætitia Benasouli, responsable régionale de l’antenne Afils-Ile de France, dans un long courrier (rédigé par ses soins et approuvé par nombre de ses collègues dont moi) publié dans le Journal de l’AFILS début 2012 et dont je vous livre un extrait (avec son accord) :

« Alors que les centres de formation d’interprètes français-LSF mettent chaque année davantage de professionnels sur le marché de l’interprétation, à la grande satisfaction des demandeurs de nos services d’interprétation, ces mêmes professionnels fraîchement diplômés ne se voient pourtant confier que peu de missions et leurs salaires sont dérisoires. Les nouveaux collègues exerçant en région parisienne nous confient aujourd’hui gagner en moyenne 1100€/mois, après un cursus universitaire en science du langage, sanctionné par un Master 2 (Bac+5).

Ces nouveaux professionnels doivent partager leur temps entre plusieurs services en espérant  compléter leur emploi du temps au coup par coup, sans aucune sécurité de l’emploi, ni même « sécurité de la mission » pourrait-on dire (rejetés sans préavis en cas d’annulation de mission, sans contrats ni garanties spécifiques). Ils se voient jouer des coudes, parmi une liste effrayante de vacataires, pour obtenir une mission payée au lance-pierre, à l’autre bout de la région.

Ces nouveaux professionnels sont parfois contraints d’accepter 3 vacations assez lourdes dans la journée, ce qui ne peut conduire qu’à une médiocre qualité de la prestation et à une usure accélérée de l’ILS (d’autant plus qu’il est encore peu expérimenté, a moins de recul sur les situations et se prend tous les dysfonctionnements de plein fouet sans savoir toujours bien réagir). Ce n’est pas pour rien que l’AFILS a émis des préconisations limitant de préférence le nombre de vacations à 2 dans la journée. Mais après 10 jours sans travail, le choix ne se pose plus et l’injonction du loyer et autres charges à payer prime sur le reste.

Ces nouveaux professionnels ne prennent même plus en compte dans leur évaluation de la mission la notion de distance, et n’hésitent plus à parcourir des kms en RER-bus-pied, monopolisant pour une seule vacation la journée entière, sans bénéficier pour autant de la rétribution correspondant à leur mobilisation.

Le secteur de l’interprétation en région parisienne commence à être sclérosé… et paradoxalement, toutes les demandes des usagers franciliens ne sont pour autant pas encore comblées. La faille n’est pas difficile à déceler, mais probablement complexe à expliquer ».

La situation est donc paradoxale !

D’un coté le nombre d’interprètes professionnels est insuffisant : dans tous les tribunaux les greffiers s’arrachent les cheveux pour trouver un professionnel diplômé disponible (idem dans les commissariats), les personnes sourdes doivent prévoir leurs rendez-vous personnels trois semaines à un mois à l’avance pour espérer pouvoir réserver un interprète, durant des formations il n’y a des interprètes que sur des demi-journées…
Régulièrement je reçois des appels me demandant si je suis disponible pour telle ou telle date alors que mon emploi du temps est déjà finalisé depuis deux semaines.

D’un autre coté, des interprètes arrivant sur le marché du travail avec un bac +5 galèrent pour trouver assez de vacations par mois afin de s’assurer un SMIC car les services n’osent pas embaucher en CDI (ou même en CDD) alors qu’il y a des demandes qu’ils ne peuvent satisfaire.
Pourquoi ?
Généralement ces services sont petits (moins de vingt salariés), ils n’ont pas toujours de visibilité sur leur avenir, rencontrent parfois des difficultés de trésorerie, leur activité est fluctuante, nulle durant les vacances, intenses certaines semaines, embaucher signifie multiplier les démarches administratives et ils n’ont pas le personnel pour cela… D’où leurs réticences a créer de nouveaux postes, ils préfèrent recruter des vacataires chaque semaine, quitte parfois à ne pas pouvoir assurer une prestation s’ils n’en trouvent pas de disponibles.

De plus la crise actuelle touche tous les secteurs économiques et le notre n’y échappe pas. Mais là n’est peut-être pas l’explication principale.

Comme le soulignait cet été Laure Boussard, interprète F/LSF professionnelle, dans une interview au Télégramme : « il n’y a pas assez d’interprètes en France. Ou, plus exactement, pas assez de postes de travail financés. On commence à avoir des interprètes formés, avec un master 2, mais paradoxalement, ils ne trouvent pas de travail. Alors qu’il y a des sourds et des entendants qui ont besoin d’interprètes. La vie a besoin d’interprètes ! »

Ce qui manque en France ce sont donc des postes de travail d’interprètes en lsf financés. Pour garantir une accessibilité pleine et entière aux personnes sourdes de la maternité au cimetière il faudrait créer (parallèlement aux services existants) des postes d’interprètes en langue des signes dans des administrations, services publics, écoles… On pourrait imaginer des équipes d’interprètes travaillant au sein de différents ministères (Justice, Santé, Affaires Sociales, Éducation Nationale…) et mis à disposition sur tout le territoire français. Elles existent déjà sur quelques sites comme dans des écoles autour de Toulouse, dans des hôpitaux accueillant des « Pôles Santé Surdité« etc.

Aujourd’hui c’est l’inverse : l’État donne de l’argent aux personnes sourdes pour qu’elles payent elles-mêmes les interprètes dont elles ont besoin. C’est pourquoi la création de ces postes financés signifierait, logiquement, de revoir tout le circuit de financement notamment en réformant (supprimant ?) la PCH (Prestation de Compensation du Handicap) dont l’utilisation n’est soumise à aucun contrôle d’où les nombreuses dérives.
Évidemment, à l’heure où l’État français se lance dans un vaste programme d’économies avec restrictions budgétaires, non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux… la proposition risque de surprendre (et elle n’est pas prêt de se réaliser).
Mais sans cette solution, on continuera de faire traduire des procès (quand ils sont traduits) par des interfaces incompétents, les élèves n’auront droit qu’à 200 heures maximum par an de cours interprétés en lsf (pour le reste de l’année ce sera un ou une charmant(e) AVS qui ne sait pas signer) et à l’hôpital le fils ou la fille entendante continuera d’accompagner sa maman en consultation de gynécologie pour lui traduire les propos du médecin.
Tandis qu’un nombre croissant d’interprètes, sous-employés, iront pointer à Pôle Emploi.

Pour mieux comprendre cette proposition (créer des postes financés d’interprètes en lsf) il suffit de se rendre au Danemark où la langue des signes est officiellement reconnue dans l’éducation des enfants sourds depuis 1991.
Durant leurs études supérieures, les étudiants sourds peuvent bénéficier d’interprètes mis à leur disposition par les universités. La présence d’interprètes est obligatoire lors d’enquêtes policières ou d’audiences devant les tribunaux. Ils sont également présents dans les municipalités, les hôpitaux, les centres de formations… dans tous les moments importants de la vie. Surtout ils sont « gratuits » pour toutes les activités liées à la santé, la formation professionnelle, la culture… Ils sont pris en charge par la communauté ou l’organisme délivrant la prestation.
Et logiquement le Danemark arrive en tête des pays européens pour le nombre d’interprètes par habitants : 500 interprètes pour 6 millions de Danois (dont 5000 sourds signeurs).

Je vous rappelle les chiffres pour la France : 300 interprètes diplômés pour 60 millions d’habitants dont 120 000 à 200 000 s’exprimant en langue des signes.

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Dans le dernier numéro du Journal de l’AFILS, je vous conseille l’article d’Émilie Coignon : « Le marché du travail des interprètes en Ile-de-France : quelle place pour les jeunes diplômés ? »