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Douarnenez, un Festival de cinéma militant pour Entendants et Sourds

Le Festival de cinéma de Douarnenez est né en 1978 à l’époque de grands rassemblements qui ont secoué l’histoire de la Bretagne et renforcé un vaste tissu associatif et militant. Ces luttes ont également aiguisé l’intérêt et la solidarité envers les combats et les résistances d’autres peuples, qu’on nommait « minorités nationales » ou « diversités culturelles ».

Logiquement, dès son origine le Festival s’est interrogé sur les revendications linguistiques, culturelles et politiques de ces minorités d’ailleurs, en écho au contexte de lutte pour la survie de la culture et de la langue bretonnes en s’intéressant à cette notion de patrimoine des humains, celui de l’humanité, des langues, des cultures, des expressions singulières des peuples et des communautés, en présentant un cinéma inédit en France.

Pour sa 41e édition, fidèle à une tradition d’accueil des minorités, pour lesquelles la culture en ­général et le cinéma en particulier expriment des formes de résistance et de lutte, le Festival de ­cinéma de Douarnenez célèbre, jusqu’au 25 août, les « Peuples des Congo(s) ». Un pluriel lié à une partition toujours à l’œuvre, issue des colonisations menées par la France et la Belgique pendant près d’un siècle. D’un côté la République du Congo (Congo-Brazzaville) ; de l’autre la République démocratique du Congo (RDC ou Congo-Kinshasa).

D’autres minorités et cultures en lutte sont également présentes tel les Intersexes ou les Sourds.

Ainsi, depuis 8 ans, le Festival fait une large place au Monde des Sourds (avec un S majuscule pour signifier l’appartenance culturelle et linguistique à une minorité définie de façon anthropologique comme pour une ethnie, un peuple), l’idée étant de les montrer sous l’angle d’une minorité (linguistique) victime de discriminations et engagée dans leur lutte pour la reconnaissance de leur langue et de leur culture. Lutte similaire finalement aux peuples bretons, corses…

Comme le raconte Laetitia Morvan, l’une des initiatrices de ce projet, « au moment où le Festival a intégré le monde des Sourds dans sa programmation, c’était avec la conscience qu’il s’agissait bien d’une minorité avec sa langue et sa culture propre. Mais l’équipe était alors freinée dans sa prise de contact avec la communauté : personne ne maîtrisait la LSF… on ne savait pas comment s’y prendre. Face à ce blocage de communication, le Festival a choisi de faire appel à des personnes entendantes connaissant la langue des signes, d’échanger avec elles pour glaner un maximum d’informations sur les Sourds. L’une de ces personnes entendantes, Maëlc’hen Laviec, s’est tout de suite mobilisée de son côté pour interpeller les Sourds. Elle a insisté pour qu’ils s’investissent dans la programmation afin de s’assurer qu’elle était cohérente avec leur réalité et que l’accessibilité correspondait bien aux besoins. Il est vrai que les Sourds sont très souvent frileux lorsqu’on leur propose des projets dont ils savent qu’ils sont organisés par des entendants. On trouve typiquement cette réaction de défiance chez eux. En effet, les Sourds ont l’habitude depuis très longtemps de voir les entendants tout organiser à leur place, passer leurs appels téléphoniques, etc, etc… en bref, prendre le pas pour tout gérer et tout diriger. Cela entraîne un sentiment de ras-le-bol et de nombreux malentendus culturels. »

Voila pourquoi, sous la houlette de ma collègue Laure Boussard, une vingtaine d’interprètes F/LSF bénévoles se relaient sur les différents sites du Festival pour permettre à chacun de communiquer avec l’autre.

Au delà de cette remarquable concentration d’interprètes en langue des signes (sans doute un record en France), cela permet surtout aux Sourds de découvrir d’autres cultures au même titre que chaque festivalier ; les interprètes étant (comme toujours) le trait d’union entre Sourds et Entendant, sans mise à distance ni différences…

Le site du Festival : http://www.festival-douarnenez 

 

7 raisons pour lesquelles interprète F/LSF est le plus beau métier du monde

1/ Etre interprète F/LSF c’est avoir la chance, durant ses études en Master 2, d’être entouré par des professeurs bienveillants et soucieux de révéler le meilleur de vous-même :

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2/ Etre interprète F/LSF c’est avoir le privilège de travailler avec des collègues sympathiques, à votre écoute, toujours prêts à vous aider et à vous encourager :

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3/ Etre interprète F/LSF c’est avoir le plaisir d’être accueilli avec gentillesse et respect quand vous arrivez pour traduire un entretien :

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4/ Etre interprète F/LSF c’est avoir l’opportunité de traduire des cours, des conférences qui permettent d’acquérir une culture générale phénoménale :

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5/ Etre interprète F/LSF c’est avoir la possibilité de briser la barrière de la langue pour permettre aux sourds et aux entendants de communiquer entre eux :

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6/ Etre interprète F/LSF c’est avoir le bonheur, après avoir traduit une réunion, de rentrer chez soi heureux, avec le sentiment d’avoir été utile :

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7/ Etre interprète F/LSF c’est avoir tout simplement la certitude qu’on a choisi un métier qu’on aimera durant toute sa vie professionnelle :

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Et il y a tant d’autres raisons…

© Stéphan – ( i ) LSF

Signes extérieurs : une interprète sur la Planète des Singes

Pour exercer le métier d’interprète en langue des signes il faut parfois savoir voyager très loin. Dans l’espace bien sur mais aussi dans le temps, vers des lieux imaginaires, sur d’autres planètes…

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Ainsi ma collègue originaire de la Nouvelle-Orléans, Shari Bernius a été embauchée il y a 1 an et demi par les producteurs du film « Planète des Singes – l’Affrontement » pour permettre aux homidés (humains et chimpanzés) de s’exprimer en langue des signes américaine (ASL).

En effet, pour ce nouvel opus, le réalisateur voulait montrer des singes doués d’une intelligence supérieure et sachant communiquer par signes ou pour certains par la voix. C’est pourquoi il a fait appel à Shari qui leur a enseigné les rudiments de l’ASL. Ainsi quand le méchant primate signe « nous pouvons les détruire, ils sont encore faibles », vous pouvez admirer le résultat de longues heures de travail hors-écran menées par Shari Bernius.

Comme elle l’explique, « pour les comédiens « humains », avant le tournage, j’ai travaillé de nombreuses heures avec eux, j’organisais notamment via Skype des sessions de formation ».
Bien sur elle fut aussi présente sur le tournage, dans le parc d’attraction abandonné « Six Flags » qui a servi de décor au film, afin de poursuivre son enseignement, essayer de corriger leurs erreurs et suivre les changements dans le script souvent décidés à la dernière minute.

Si l’enseignement de l’ASL aux humains n’a pas posé trop de problème, elle a dû en revanche s’adapter pour les primates et travailler en partenariat étroit avec Terry Notary, leur éleveur. Ainsi, elle réalisait de courtes vidéos traduisant les phrases du scénario qu’ils étaient censés signer puis Terry faisait répéter ses jeunes apprentis comédiens chimpanzés en tenant compte de leur morphologie, de leur motricité, de leur mimique faciale, de leur façon de grogner…
Bref au final, comme le souligne Shari Bernius, c’était une langue des signes plus « primitive ».  « J’ai enseigné à Terry la langue des signes américaine et il m’a initié à la langue des signes singe ! »

Aujourd’hui après avoir vu le film, comment juge-t-elle les performances en ASL de ses élèves primates et humains ?

« Après l’avant-première, Matt Reeves le réalisateur m’a demandé ce que je pensais du résultat. J’ai été clair avec lui, je lui ai dit qu’on avait foiré, que ça ne ressemblait à pas grand chose. C’était terrible, tandis que je regardais le film je n’arrêtais de me dire, mais ça ne veut rien dire, ce n’est pas du tout ce que je  leur ai appris ! Puis en sortant de la séance j’ai enfin réalisé que c’était normal, après tout ils étaient censés s’exprimer en langue des singes et non des signes ».

Plus d’infos sur le site du The Times-Picayune 

Quelles qualités pour un interprète en langue des signes ?

Malheureusement ces dernières semaines je ne consacre pas assez de temps à mon blog mais je suis sur que cela n’est que temporaire.
Heureusement d’autres que moi s’intéressent au métier d’interprète en langue des signes. Et leurs écrits me permettent d’alimenter notre réflexion.

Ainsi, l’Association « Bébian, un autre monde » a consacré son numéro de rentrée aux interprètes en langue des signes.

A travers le témoignage de cinq interprètes professionnels, ce journal dresse un joli portrait de notre profession, dont la mission est d’abord de « rendre intelligible la parole de l’Autre, vocale ou gestuelle. Tache aussi fondamentale qu’ardue car il ne s’agit pas tant de naviguer entre 2 langues que de saisir l’intention, la pensée, qui avec toutes ses nuances, s’exprime à travers un système linguistique, pour la restituer avec un respect maximal. »
Cela demande donc des qualités, des connaissances particulières. Ainsi comme le rappelle Guylaine Paris, interprète F/LSF et ancienne présidente de l’Afils, « il s’agit d’un métier de la communication. Il faut donc avoir les qualités de ce type de profession : politesse, savoir-vivre, patience, être à l’aise dans les relations humaines. De plus, du fait que notre travail consiste à prendre la parole de quelqu’un pour la transmettre à une autre personne, l’humilité doit être de mise, il ne faut pas se mettre en avant. Il faut avoir conscience qu’une parole est fragile et que lorsqu’on nous la confie, elle doit être manipulée avec précaution, ce qui implique d’être attentif à l’autre, soigneux et rigoureux. Il y en a bien d’autres bien sur : l’honnêteté, la curiosité, l’autonomie, le contrôle de soi. Il ne s’agit pas d’être parfait mais d’avoir conscience que ces qualités permettent d’instaurer un climat de confiance qui permet de travailler plus sereinement donc mieux. »

Pour poursuivre la lecture de cette interview et découvrir les autres, cliquez sur l’image :

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La page Facebook de l’Association Bébian, un Autre Monde

Signes extérieurs : aux Etats-Unis

Profitons de cet été pour visiter d’autres pays et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Aujourd’hui nous nous rendons aux Etats-Unis, à la rencontre d’Holly Maniatty qui traduit en langue des signes américaine (ASL) des concerts du Wu-Tang-Clan, de Killer Mike ou des Beastie Boys.
Voici un extrait du long article paru sur le site Slate.fr le 24 juillet 2013.

Interprète pour concert de rap en langue des signes

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 » Holly Maniatty a toujours eu un don pour les langues et sur un coup de tête et s’est inscrite au programme ASL (American Sign Language) du Rochester Institude of Technology.  Maniatty, l’une des deux seules élèves à n’avoir aucune connaissance préalable de la langue des signes, a obtenu son diplôme en deux ans avant de décrocher une licence de l’Université de Rochester. A la fac elle s’est retrouvée confrontée à d’autres facettes du hip-hop et a découvert les Beastie Boys et le Wu-Tang. Qu’elle a tous deux adoré.

Sa percée dans le monde de la musique date de l’époque où elle travaillait pour une agence d’interprétariat de Rochester. Alors qu’on demande une interprète pour un concert de Marilyn Manson, aucun de ses collègues ne veut s’en occuper.

«Personne ne voulait le faire, m’a-t-elle dit au téléphone un mardi après-midi, tandis que sa vidéo avec le Wu-Tang devenait virale. Ce fut une façon plutôt stylée d’accéder à l’interprétariat de concert, car Manson, c’est un spectacle à lui tout seul. Un énorme spectacle.»

La prestation avec Manson donne à Maniatty le goût des concerts. Quelques années après, travaillant à présent pour un service d’interprétariat de Portland dans le Maine, un collègue l’introduit auprès d’Everyone’s Invited, un producteur de spectacle qui embauche des interprètes pour des festivals et des événements. Selon la directrice, Laura Grunfeld, il est de plus en plus courant d’avoir des interprètes dans les concerts, même si c’est principalement lors des festivals les plus importants, tels que Bonnaroo.

Maniatty s’est rapidement retrouvée à travailler pour le New Orleans Jazz Fest et pour Bonnaroo, partageant la scène avec des groupes comme Bruce Springsteen (qui a chanté et signé Dancing in the Darkavec elle), U2, et même Bob Saget. Elle fait environ 60 concerts par an, paye ses déplacements elle-même, et touche des honoraires fixes.

Ce n’est qu’en 2009 qu’elle aborde la scène hip-hop avec un événement majeur, le concert des Beastie Boys à Bonnaroo, qui sera le dernier concert du groupe. Elle se voit encore dire à un fan sourd venu du Bronx: «Salut, je suis Holly, je viens du Maine et je serai ton interprète.» «Il m’a regardé et m’a dit: Quoi? Tu vas traduire le concert?»

Pour se préparer, Maniatty a consacré plus de 100 heures à étudier les Beastie Boys, mémorisant les paroles, repassant d’anciens concerts. Pour plus de précision et d’authenticité, elle s’est également renseignée sur les signes dialectaux: de la même façon qu’un rappeur d’Atlanta utilise un argot différent d’un rappeur du Queens, selon leur région d’origine les locuteurs en langue des signes utilisent des signes différents. Savoir signer flingue ou brother comme on le fait dans telle ou telle région est crucial pour être authentique. « 

Pour finir, une vidéo montrant Hooly Maniatty lors d’un concert du Wu-Tang-Clan :

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Pour ceux qui veulent lire l’article dans son entier c’est sur le site slate.fr :
Interprète pour concert de rap en langue des signes

Pater noster – Padre nostro – notre Père

L’annonce, la semaine dernière, de l’élection du cardinal Jorge Mario Bergoglio sur le trône de Saint-Pierre a donné lieu à une jolie controverse sur la mauvaise qualité de l’interprétation de l’italien vers le français des  prières « Notre Père » et « Je vous Salue Marie » que François 1er récitait du haut de son balcon.
Sur TF1, la traduction fut hésitante, les phrases bizarrement construites si on se réfère au texte traditionnel de la première, l’interprète délivrant une traduction littérale et non la version habituelle en français de la prière comme le montre cette vidéo :

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C’est ainsi que sur le forum du site de TF1, on pouvait lire des messages critiques postés par les internautes déboussolés : « j’ai tenté de suivre hier sur votre chaîne les premières images et surtout les premiers mots du Pape François. Le Pape avait choisi de s’exprimer en italien et à juste titre vous disposiez d’une traductrice. Les hésitations à répétitions et les absences de traduction ont rendu incompréhensibles les propos du Pape. La tentative de traduction littérale des deux prières connues par plus d’un milliard de personnes sur Terre a été le sommet. Ce n’était pas digne de l’événement. »

Plus étonnant est le débat qu’a ouvert le site internet « Arrêt sur Image » en se demandant si « la traductrice se devait de connaître le Notre Père, alors que TF1 est une chaîne généraliste et laïque ? » Et d’ajouter : « traduire le Notre père en le récitant, est-ce de la culture ou de la religion ? »

Avant d’essayer de répondre à cette question, il faut d’abord rappeler que tous les interprètes/traducteurs doivent posséder une connaissance approfondie (sociale, culturelle, politique…) des deux communautés pour lesquelles ils travaillent, sourds et entendants pour les interprètes en langue des signes. C’est par exemple connaître les productions artistiques des deux communautés (pièces de théâtre, poèmes…) les événements historiques,, les personnages célèbres, les discours emblématiques… pour être capable de traduire au plus juste un locuteur qui y ferait allusion.
Ainsi que le souligne Daniel Gile« certains termes et expressions, notamment les termes culturels sont indissociables d’un fait historique, d’un environnement social, d’une affectivité propre à une communauté linguistique, qui ont des incidences textuelles à travers des nuances dans des emplois et des sens. » 

Or, alors que l’interprète fait d’habitude le choix de ne traduire que le sens, souvent au détriment de la forme (surtout quand il travaille dans l’urgence, en interprétation simultanée) dans ces situations ou la référence culturelle est prégnante (comme lors de cérémonies rituelles) et où la forme elle-même devient porteuse de sens il se doit de la respecter intégralement, l’objectif premier étant, bien sur, que le message soit compris. C’est seulement ainsi qu’il sera réellement fidèle au discours et à l’intention du locuteur.
En modifiant la forme de phrases que certains téléspectateurs ont apprises par coeur lors de cours de catéchisme, l’interprète a rendu ces phrases incompréhensibles non parce que le sens était faux ou peu clair mais parce qu’elles n’étaient plus reconnues.

Sans vouloir accabler ma collègue qui officiait ce soir là durant la grande messe du 20h (nous ne connaissons ni le contexte de son intervention, ni ses conditions de travail) sa mésaventure nous rappelle en outre qu’il faut posséder une culture générale de qualité quand on veut exercer le métier d’interprète quelles que soient les langues de travail.
En l’occurrence, on peut imaginer qu’un interprète intervenant lors de l’élection d’un pape va, à un moment ou un autre, se trouver à devoir traduire des textes « normés » (comme les prières). D’où la nécessité d’avoir une bonne culture religieuse dans les deux langues pour pouvoir traduire justement en respectant et le fond et la forme non seulement de ces textes mais aussi le vocabulaire spécifique comme camerlingue, protodiacre…

D’ailleurs, comme le stipule l’article 2 du deuxième titre du code éthique de l’Afils (Association Française des Interprètes en Langue des Signes) : « l’interprète s’engage, dans la mesure du possible, à se former dans le but de répondre aux besoins des usagers. »

Cela signifie, pour poursuivre sur le thème du religieux, que si un interprète est amené à traduire en LSF (par exemple) un mariage ou un enterrement suivant le rite catholique il fera auparavant des recherches pour savoir si des sourds ou d’autres interprètes ont déjà proposé des traductions des textes ou des prières qui seront lus ou, si ce n’est pas le cas, il réfléchira à des stratégies d’interprétation pour tel ou tel terme ou expression.
Il pourra par exemple se reporter au DVD « L’Evangile de Luc traduit en LSF » dont je vous ai déjà parlé lors d’un précédent billet.
Idem s’il traduit un événement en lien avec la religion musulmane, il pourra certainement trouver des informations précieuses en consultant le site « Donne Moi un Signe. »
Mais cela nécessite donc d’avoir du temps pour la préparation afin de garantir une traduction de qualité ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.

Par conséquent, se demander si, en exigeant d’un interprète traduisant une cérémonie au Vatican qu’il connaisse la version française du « Notre Père », ce serait renoncer à l’exigence de laïcité de l’espace publique (la télévision en l’occurrence) est absurde.
En tant qu’interprète, quand je traduis un événement catholique je me dois de connaître les principales prières non pour des motifs religieux (je laisse mon éventuelle foi de coté quand je travaille car je suis neutre) mais simplement car mon travail pour être compris de tous, doit respecter les références socio-culturelles de chacun.
C’est comme cela que l’interprète est le médiateur entre deux langues, mais aussi entre deux cultures, le pont entre deux communautés.

À lire également : cet intéressant point de vue sur le blog « Les Piles Intermédiaires » .

En cliquant sur ce lien vous trouverez quelques éléments sur comment traduire le Notre Père en LSF : « L’atelier de traduction : Notre Père en LSF »

Les sourds dans la société française du XIXè siècle

Elle est interprète F/LSF en région parisienne et elle fut mon professeur de « techniques d’interprétation » durant mon M1 à l’université de Paris VIII.
Deux bonnes raisons pour évoquer l’ouvrage de Florence Encrevé, « Les sourds dans la société du XIXè siècle » issu de la thèse qu’elle a soutenu il y a quelques années.

Voici comment la quatrième de couverture présente le contenu du livre :

« En 1880, à la suite du Congrès de Milan – réuni officiellement « pour l’amélioration du sort des sourds-muets » – le gouvernement français décide de proscrire la langue des signes des écoles pour sourds et d’y imposer l’usage du français oral tant pour la transmission des connaissances que pour les échanges quotidiens des professeurs et des élèves, y compris des élèves entre eux. Aujourd’hui encore, aux yeux des sourds, ce Congrès symbolise une véritable « révolution négative », incompréhensible et aux conséquences lourdes puisqu’elles sont encore perceptibles en ce début de XXIe siècle.

Comment expliquer une telle décision ? Alors qu’entre 1830 et 1860, Ferdinand Berthier et ses « frères » sourds parviennent à faire entendre à la société qu’ils sont en mesure d’accéder à l’égalité civile grâce à l’utilisation de la langue des signes, la langue des signes va rapidement être victime de l’idée de progrès.

En cette période des débuts de la révolution industrielle, tout est encore possible et les sourds peuvent revendiquer l’utilisation de la langue des signes dans tous les domaines. Mais entre 1860 et 1880, l’idée de progrès conquiert peu à peu presque tous les domaines de la société et au lendemain du Congrès de Milan en 1880, les sourds ne peuvent plus revendiquer l’utilisation de la langue des signes comme c’était le cas après la Révolution de 1830.
Paradoxe surprenant au premier abord : alors que la société progresse vers davantage d’égalité civile, comment expliquer que les sourds se sentent en situation d’inégalité et demandent à être à nouveau considérés comme ils l’étaient auparavant ? Telle est l’interrogation centrale de ce livre.

L’étude commence en 1830 lorque la Monarchie de Juillet montre la volonté d’appliquer les principes de 1789 et s’arrête en 1905 date du vote de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat, traditionnellement considérée comme celle de l’achèvement effectif de la Révolution française.
L’ouvrage renouvelle la perception de la communauté sourde, non seulement au plan de l’histoire et de l’historiographie mais aussi de l’actualité et de l’évolution des rapports entre les sourds et la société d’aujourd’hui. »

Sourds au XIXè

Un dernier détail qui me ravit : une traduction en langue des signes française de l’ouvrage est en cours (l’introduction est déjà visible). Un flash code imprimé dans le livre y donne accès.

L’Evangile de Luc à portée de mains

Au delà de ses propres convictions ou croyances, interpréter en langue des signes des événements religieux est toujours un exercice délicat et complexe. Il faut gérer ses propres émotions (lors d’obsèques par exemple), parvenir à trouver sa place sans troubler la cérémonie (difficile de se glisser auprès du prêtre lors de la communion), s’adapter à l’inconfort sonore (souvent dans les églises le son résonne ou est peu audible) et surtout cela demande des compétences particulières en linguistique, en histoire et en théologie.

Ainsi, la Bible – le livre des 3 religions monothéistes que je connais le mieux – et son corollaire de textes religieux est tout sauf un livre simple. Les phrases sont longues, les références culturelles et historiques nous sont peu familières, les paraboles et métaphores nombreuses et beaucoup de termes utilisés dans le Nouveau Testament n’ont pas d’équivalent en langue des signes française à commencer par les noms propres (Galilée, Abraham, Saint-Jean-Baptiste, Hérode…) ou certaines expressions caractéristiques des Évangiles (Royaume de Dieu, Fils de l’Homme, Maître de la Loi…).

Or, bien que la Bible soit le livre le plus traduit au monde (des parties de celle-ci seraient disponibles en 2400 langues) il n’existait pas jusqu’à récemment de version en langue des signes française sur laquelle nous aurions pu nous appuyer pour imaginer des stratégies d’interprétation, voir des signes lexicaux nous manquant.
Cette situation était d’ailleurs paradoxale car les religieux se sont beaucoup impliqués dans l’éducation des sourds le plus célèbre étant bien sûr l’Abbé de l’Epée dont nous fêtons le tricentenaire de la naissance cette année.

Bref, les interprètes en langue des signes manquaient de matériels pour effectuer des traductions précises et les sourds signeurs ne pouvaient pas avoir accès aux textes bibliques ce qui, en raison de notre passé judéo-chrétien, signifiait, pour eux, être privé d’une part importante de la culture générale qui a participé à l’édification la nation française (et plus largement européenne).
En outre, ces derniers ne pouvaient pas non plus percevoir l’émotion qui se dégage de ces textes religieux car pour un sourd qui n’a jamais eu accès au son, les mots sont comme des coquilles vides et le fait de pouvoir les lire ou les écrire ne change rien, il manque la dimension visuelle.

Par chance pour ces deux groupes (sourds et interprètes) cette lacune est (en partie) comblée.
En effet, il y a 5 ans, plusieurs équipes francophones ont travaillé sur la traduction de l’Évangile de Luc en lsf et c’est ainsi que trois DVD ont été réalisés par l’Alliance biblique française. Le résultat de ce travail considérable est remarquable.
Pour ce seul Évangile, neuf équipes totalisant cent bénévoles (sourds et entendants, enseignants de langue des signes, religieux, théologiens, linguistes, interprètes, techniciens vidéo) en Suisse, France, Belgique et au Congo-Brazzaville ont travaillé durant trois ans.

La traduction a été réalisée à l’aide de l’original grec, comme pour toute nouvelle édition de la Bible. Comme le raconte l’un des participants : « chaque passage a d’abord donné lieu à une étude biblique avec nos interprètes. Ils tentaient ensuite de le signer. A chaque difficulté de traduction, nous creusions à nouveau le texte original en grec ».
En effet il est primordial que la traduction reprenne fidèlement le sens du texte qui est souvent abstrait.
Par exemple l’épisode du lépreux (Luc 17-19). Jésus lui déclare « Lève toi, va ; ta foi t’a sauvé ». Le terme « sauvé » est ambigu : il indique d’une part la notion de guérison physique et d’autre part il intègre la dimension spirituelle de la personne. Le miracle ne concerne pas uniquement le corps débarrassé de la maladie mais aussi la personne dans sa globalité (corps et âme).
Il faut alors transmettre via son interprétation cette double dimension en utilisant notamment des expressions du visage adéquates soulignant « l’illumination » de la personne.

De plus, pour combler le manque lexical, 90 nouveaux signes ont été inventés. « Il fallait se mettre d’accord sur une manière commune de traduire des termes comme «la foi» – un geste partant du front jusqu’au cœur – ou des prénoms comme Abraham – le mouvement d’un coup de couteau stoppé de l’autre main en référence au sacrifice d’Isaac ».

Ce travail de traduction sur l’Évangile de Luc souligne aussi (pour ceux qui l’aurait oublié) que la langue des signes par sa richesse, sa précision, sa finesse permet de traduire n’importe quel texte ;
– du plus concret : « Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres; il les écoutait et les interrogeait ». (Luc 2-46)
– au plus abstrait : « en effet toute personne qui s’élève sera abaissée, et celle qui s’abaisse sera élevée ». (Luc 18-14)

la bande-annonce du projet de l’Alliance biblique française :

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Pour se procurer ce triple DVD : http://bit.ly/saintlucenlsf

Une histoire drôle

Récemment, au cours d’une vacation, une charmante collègue interprète en langue des signes française (oui, je sais, c’est un pléonasme, toutes les interprètes en LSF sont charmantes) me rappelait cette histoire drôle qui circulent dans la communauté sourde.

« Alors qu’il traverse un carrefour dont les feux tricolores sont en panne, Pierre un aveugle est renversé par un énorme camion et meurt sur le coup. Quelques jours après ont lieu ses funérailles. Se succèdent discours et hommages larmoyants soulignant son grand cœur. Puis à l’issue de la cérémonie, chacun s’approche du cercueil et jette une rose rouge ou blanche. Et on l’enterre non sans avoir au préalable déposé sa canne blanche dans la fosse.
Quelques semaines plus tard, une jeune femme paraplégique, Marie, se tue après avoir perdu le contrôle de son fauteuil roulant dans la descente de Montmartre. Ses amis et sa famille se retrouvent au cimetière du Père Lachaise pour lui rendre un dernier hommage et on l’enterre en ayant fait un trou plus large que d’habitude afin d’y placer, à ses cotés, son fauteuil roulant.
Peu après, Henri est tué par un pot de fleur qui lui est tombé sur le crâne alors qu’il se promenait dans la rue. Sourd, il n’a pas entendu les cris le mettant en garde. Il est enterré quelques jours plus tard et pour que chacun puisse comprendre les discours des uns et des autres un interprète en langue des signes traduit vers le français ou vers la LSF.

Question : une fois la cérémonie finie, avec quoi va-t-on l’ensevelir ?
Réponse (livrée avec jubilation, au moyen d’un vigoureux et double claquement de main) : « avec son interprète, bien sûr ! »
Pour comprendre pourquoi les mains claquent voici le signe en LSF pour [INTERPRETE] :

Cliquez sur l’image pour voir la vidéo

 

Au delà du caractère hilarant (ou pas) de cette devinette, cette histoire est intéressante car elle est révélatrice de l’ambivalence des relations que les sourds signeurs ont parfois avec les interprètes, personnages d’une importance cruciale pour lesquels ils ont inévitablement des sentiments contradictoires.
En face d’eux à chaque événement important de leur vie (mariage, visite médicale, entretien d’embauche, discours de fin d’année, réunion scolaire, permis de conduire…) afin d’assurer une bonne communication avec la communauté des entendants, leur présence est aussi le rappel constant d’une différence sociale, des difficultés rencontrées à s’intégrer au sein de la société.
Il devient alors amusant de se moquer de l’interprète, voire de le « rabaisser » (gentiment) en l’assimilant à un objet ou à une machine. Il s’agit en quelque sorte de le « remettre à sa place » via l’humour.

De nombreuses variantes attestent de la popularité du thème.
Une première intercale, entre la paralytique et le sourd, un malentendant que l’on enterre évidemment avec ses appareils de correction auditive ce qui renforce le caractère « mécanique » de l’interprète.
Une seconde, qui situe l’action à Lourdes, ne laisse aucun doute sur le peu de cas que l’on fait de l’interprète dès que l’on n’a plus besoin de ses services : miraculés, l’invalide, l’aveugle puis le sourd se débarrassent successivement de leurs différents accessoires devenus inutiles en les jetant dans l’eau qui vient de les métamorphoser,
Une troisième variante, moins malveillante pour l’interprète, situe l’action à l’Institut Saint Jacques à Paris, au pied de la statue de l’abbé de l’Épée auquel tous les handicapés viennent rendre hommage. Les handicapés physiques apportent des monceaux des fleurs, les aveugles leurs cannes et donc les sourds… leurs interprètes.
Enfin une autre variante introduit un peu de logique dans cette histoire saugrenue : ces ensevelissements successifs sont autant de précautions pour la vie future, et c’est donc rendre un hommage implicite à l’interprète que de reconnaître que l’on ne saurait s’en passer, même au ciel (étonnamment c’est la version préférée au sein de notre profession et notre ego en frétille de joie dès qu’on l’entend).

D’autres exemples soulignent cette volonté de désacraliser cette fonction. Ainsi, fondée sur une homonymie, une blague consiste à demander pourquoi [INTERPRETE] et [BIFTECK] sont un seul et même signe (ce qui est effectivement le cas) ? C’est que « l’interprète aussi, on a souvent envie de le bouffer » (bien saignant sans doute).

Pour être honnête, il faut préciser que ces blagues pour être réellement drôles doivent être signées et non lues ou racontées en français. En effet, les langues des signes, étant visuelles, permettent l’imitation, des prises de rôles, ou de jouer avec l’iconicité, porteuse en elle-même d’une grande charge comique… Mais nous entrons dans le domaine des linguistes et je m’éloigne de mon propos (donc je m’arrête ce qui m’arrange car je n’y connais pas grand chose).

Concluons plutôt par une histoire drôle en langue des signes. C’est l’histoire d’un homme qui se promène dans la forêt et qui se retrouve dans des toilettes mais sans papier WC. Heureusement son voisin de cabine va lui proposer une solution… Même sans être un as en LSF vous devriez comprendre la chute.

Si vous êtes intéressés par le thème l’humour et le handicap et l’humour sur le handicap, je vous conseille cette émission de L’Oeil et la Main intitulée : Le Bouffon et le Boiteux : http://bit.ly/humouroeiletlemain

A noter aussi les nombreuses recherches effectuées par Yves Delaporte, ethnologue qui se consacre depuis 1994 à l’exploration du monde sourd, sur « le rire sourd ».

La mort du signe (court-métrage)

Sur le même thème que mon billet précédent (l’interprète en langue des signes et le système judiciaire) mais sur un ton beaucoup plus léger voire drôle voici un court-métrage humoristique réalisé en 2005 par Karim Aradj et intitulé : « La Mort du Signe ».

Procès d’un sourd manifestement accusé à tort, il en ressort (oh surprise !) que la justice n’est pas toujours bien… interprétée !
Vous y reconnaîtrez Claude Piéplu, Joël Chalude et Sandrine Schwartz dans le rôle de l’interprète français/LSF qui (est-il besoin de le préciser?) est en réalité une excellente interprète. D’ailleurs elle fut mon professeur en interprétation de conférence de la LSF vers le Français.

Pour regarder ce court-métrage, il suffit de cliquer sur l’image.