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Douarnenez, un Festival de cinéma militant pour Entendants et Sourds

Le Festival de cinéma de Douarnenez est né en 1978 à l’époque de grands rassemblements qui ont secoué l’histoire de la Bretagne et renforcé un vaste tissu associatif et militant. Ces luttes ont également aiguisé l’intérêt et la solidarité envers les combats et les résistances d’autres peuples, qu’on nommait « minorités nationales » ou « diversités culturelles ».

Logiquement, dès son origine le Festival s’est interrogé sur les revendications linguistiques, culturelles et politiques de ces minorités d’ailleurs, en écho au contexte de lutte pour la survie de la culture et de la langue bretonnes en s’intéressant à cette notion de patrimoine des humains, celui de l’humanité, des langues, des cultures, des expressions singulières des peuples et des communautés, en présentant un cinéma inédit en France.

Pour sa 41e édition, fidèle à une tradition d’accueil des minorités, pour lesquelles la culture en ­général et le cinéma en particulier expriment des formes de résistance et de lutte, le Festival de ­cinéma de Douarnenez célèbre, jusqu’au 25 août, les « Peuples des Congo(s) ». Un pluriel lié à une partition toujours à l’œuvre, issue des colonisations menées par la France et la Belgique pendant près d’un siècle. D’un côté la République du Congo (Congo-Brazzaville) ; de l’autre la République démocratique du Congo (RDC ou Congo-Kinshasa).

D’autres minorités et cultures en lutte sont également présentes tel les Intersexes ou les Sourds.

Ainsi, depuis 8 ans, le Festival fait une large place au Monde des Sourds (avec un S majuscule pour signifier l’appartenance culturelle et linguistique à une minorité définie de façon anthropologique comme pour une ethnie, un peuple), l’idée étant de les montrer sous l’angle d’une minorité (linguistique) victime de discriminations et engagée dans leur lutte pour la reconnaissance de leur langue et de leur culture. Lutte similaire finalement aux peuples bretons, corses…

Comme le raconte Laetitia Morvan, l’une des initiatrices de ce projet, « au moment où le Festival a intégré le monde des Sourds dans sa programmation, c’était avec la conscience qu’il s’agissait bien d’une minorité avec sa langue et sa culture propre. Mais l’équipe était alors freinée dans sa prise de contact avec la communauté : personne ne maîtrisait la LSF… on ne savait pas comment s’y prendre. Face à ce blocage de communication, le Festival a choisi de faire appel à des personnes entendantes connaissant la langue des signes, d’échanger avec elles pour glaner un maximum d’informations sur les Sourds. L’une de ces personnes entendantes, Maëlc’hen Laviec, s’est tout de suite mobilisée de son côté pour interpeller les Sourds. Elle a insisté pour qu’ils s’investissent dans la programmation afin de s’assurer qu’elle était cohérente avec leur réalité et que l’accessibilité correspondait bien aux besoins. Il est vrai que les Sourds sont très souvent frileux lorsqu’on leur propose des projets dont ils savent qu’ils sont organisés par des entendants. On trouve typiquement cette réaction de défiance chez eux. En effet, les Sourds ont l’habitude depuis très longtemps de voir les entendants tout organiser à leur place, passer leurs appels téléphoniques, etc, etc… en bref, prendre le pas pour tout gérer et tout diriger. Cela entraîne un sentiment de ras-le-bol et de nombreux malentendus culturels. »

Voila pourquoi, sous la houlette de ma collègue Laure Boussard, une vingtaine d’interprètes F/LSF bénévoles se relaient sur les différents sites du Festival pour permettre à chacun de communiquer avec l’autre.

Au delà de cette remarquable concentration d’interprètes en langue des signes (sans doute un record en France), cela permet surtout aux Sourds de découvrir d’autres cultures au même titre que chaque festivalier ; les interprètes étant (comme toujours) le trait d’union entre Sourds et Entendant, sans mise à distance ni différences…

Le site du Festival : http://www.festival-douarnenez 

 

Mélenchon et son « fake interpreter »

Ma vie professionnelle ne me laisse que peu de temps pour alimenter ce blog qui risque de sommeiller jusqu’en septembre 2017 et les conférences Efsli à Toulouse.

Cependant, j’essayerais de l’alimenter avec des articles de presse selon l’actualité.

Actuellement la grande affaire qui agite le monde merveilleux des interprètes en langue des signes est la campagne présidentielles avec ses nombreux ratés.

Un premier exemple avec Mélenchon qui, pour ne pas payer des professionnels compétents, a fait appel à un pseudo-interprète militant qui a traduit n’importe comment.

Cela nous est raconté par Paul Aveline de Buzzfeed :
https://www.buzzfeed.com/paulaveline/la-tres-etrange-traduction-en-langue-des-signes-des-voeux-de

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Jeudi 5 janvier, Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle, exprimait en direct sur sa chaîne Youtube ses voeux aux Français. Pendant plus de 30 minutes, le candidat de gauche a évoqué divers sujets de politique française et internationale, le tout traduit en direct par un interprète en langue des signes, en bas à droite de l’écran.

Pour voir la vidéo : youtube.com

Problème: il est rapidement apparu que l’interprète n’était pas très précis dans sa traduction des propos de Jean-Luc Mélenchon. C’est Stéphan Barrère qui l’a fait remarquer sur Twitter dans une série de tweets assassins pour celui qui traduit les mots du candidat à l’écran, Antoine Bonnet.

Contacté par BuzzFeed News, Stéphan Barrère, interprète diplômé en langue des signes, précise son propos:

«C’est n’importe quoi et ça se voit tout de suite. La langue des signes, c’est une langue avec une grammaire. Là, il entend les mots et les traduit, mais sans aucun lien entre eux. C’est comme si vous aviez quelqu’un qui parlait français mais en inversant tous les mots dans la phrase.»

Dans quelle proportion cette traduction est-elle erronée? Nous avons demandé à Stéphan Barrère de nous retranscrire, tels qu’il les comprenait, les signes donnés à l’écran par Antoine Bonnet. Le résultat est pour le moins surprenant.

Pour chaque paragraphe, la traduction en langue des signes est placée après la retranscription des propos de Jean-Luc Mélenchon:

Après avoir introduit ses voeux, Jean-Luc Mélenchon critique… la tradition des voeux.

Le candidat de gauche annonce finalement plusieurs déplacements autour de différents sujets, dont un au Mans pour parler de la sécurité sociale.

Les passages retranscrits représentent les deux premières minutes (sur les 32 au total) du discours de Jean-Luc Mélenchon. Difficile, dans ces conditions, de comprendre clairement de quoi parle le candidat tant les phrases sont hachées et décousues. L’interprète visible dans la vidéo est Antoine Bonnet, militant de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, et interprète en langue des signes «amateur», comme il le dit lui même.

Auprès de BuzzFeed News, Antoine Bonnet reconnaît qu’il n’a aucun diplôme en langue des signes, et qu’il participe aux discours de Jean-Luc Mélenchon totalement bénévolement et explique les difficultés qu’il a eues à traduire les propos de son candidat:

«Je ne suis pas interprète diplômé. Je suis militant. Je connais bien Jean-Luc Mélenchon, et il faut savoir que dans cette campagne tout le monde est bénévole. Je l’ai fait pour remplacer. Mais les conditions n’étaient pas faciles.Les sujets étaient très compliqués, on n’entendait pas bien. C’était très difficile.»

Pourquoi l’équipe de Jean-Luc Mélenchon n’a-t-elle pas choisi d’engager un ou plusieurs traducteurs professionnels pour assurer la retranscription du discours du candidat? Selon Stéphan Barrère, la raison est pécuniaire:

«L’équipe de Mélenchon a demandé des devis. Pour un meeting, on met toujours deux interprètes pour qu’ils se relaient toutes les 15 minutes. Là ils ont dû trouver ça trop cher.»

Même son de cloche chez Antoine Bonnet qui confirme que le staff du candidat a effectivement demandé des devis à des interprètes reconnus, mais que les finances du parti ne permettaient pas de les engager:

« Au départ, la direction de la campagne voulait des vrais traducteurs, et donc ils ont demandé des devis. Les tarifs étaient exorbitants. On leur a demandé 600 euros pour 30 minutes de traduction. C’est deux fois plus cher que les tarifs normaux. »

Si le tarif annoncé par Antoine Bonnet est exact, il est en effet en complet décalage avec celui présenté par Stéphan Barrère qui explique à BuzzFeed News qu’il faut compter «230 euros en général pour un meeting, plus éventuellement une majoration en soirée».

Contacté par BuzzFeed News, un des porte-parole de Jean-Luc Mélenchon confirme que l’équipe de campagne a cherché à faire au moins cher: «pour ces voeux, on a essayé comme toujours de faire sur la base du volontariat pour éviter des dépenses somptuaires». Ce porte-parole confirme en effet que des devis ont été réalisés mais «un militant s’est proposé pour le faire, or on marche presque toujours sur la base du volontariat parce qu’on n’a pas beaucoup d’argent, il faut bien le dire».

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© Stéphan – ( i ) LSF

Interprètes en LSF, « petites mains de la présidentielle »

7 apprentis journalistes animent un réjouissant site internet, “Les Petites Mains de la présidentielle”.
La ligne éditoriale est claire. Il s’agit de mettre en lumière le temps d’un article ou d’un reportage vidéo ceux qui participent à la campagne présidentielle mais qui évoluent dans l’ombre, ceux comme ils écrivent « sans qui un meeting serait sans chaise, sans boisson, sans musique et un candidat sans allure« .

Parmi ces petites mains il y a parfois les interprètes en langue des signes qui sont appelés pour traduire les discours lors des meetings politiques.

Après nous avoir vus traduire le meeting de François Fillon au Cirque d’Hiver en septembre dernier, Héloïse Fayet m’avait interviewé sur comment on se prépare avant ce type d’intervention, sur la neutralité de l’interprète… En voici un extrait :

« Si vous ne rencontrez pas le candidat, comment préparez-vous un meeting de campagne ?

On ne reçoit jamais le discours avant : la paranoïa est très forte dans ce genre de milieu, c’est très confidentiel. Mais, vu que ce sont toujours les mêmes discours, avec seulement l’ordre des paragraphes qui change, il suffit d’avoir fait le premier meeting pour être plus à l’aise lors des suivants. On regarde aussi beaucoup de vidéos, on étudie le site internet, la profession de foi… pour récupérer des éléments de langage et réfléchir à leur traduction. Et c’est parfois difficile : un interprète traduit du sens, pas des mots parfois creux qui reviennent en boucle. Il faut être inventif pour traduire de différentes façons, et faire comprendre des expressions : par exemple, “roman national”, c’est galère à traduire ! En LSF, cela devient “histoire de France que l’on raconte comme une histoire”… Il vaut mieux l’avoir préparée avant.

Sarkozy, Fillon, Le Maire… Vous ne traduisez que des politiques de droite ? Est-ce une sensibilité personnelle ?

Non, pas du tout. Si nous traduisons surtout des politiques de droite, c’est parce que ce sont eux qui organisent des meetings en ce moment, mais pour les élections régionales de 2015, j’ai travaillé avec Claude Bartolone. Comme tous les interprètes, nous suivons trois règles : le secret professionnel, la fidélité au discours et la neutralité. Notre boulot, c’est de rendre accessible un discours : on n’y adhère pas. Je ne suis pas toujours fan de Nicolas Sarkozy ! Mais on est quand même sur scène, physiquement associé à la personne qui parle : du coup, cela me poserait un problème personnel de traduire un discours de Marine Le Pen. »

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Lien vers l’article curieusement titré : Stéphan Barrère, interprète en langue des signes française : “J’ai fait toute la campagne de Sarkozy sans jamais lui serrer la main”

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La semaine dernière, c’est Alexandra Viera, toujours du site “Les Petites Mains de la présidentielle” qui a suivi mes collègues basées à Lyon qui traduisaient elles aussi un meeting de François Fillon. Voici son reportage vidéo :

« Emilie Dert et Sophie Issartial sont interprètes en langue des signes française (LSF). Elles travaillent à Lyon. Pour venir au meeting de François Fillon le 22 novembre, elles ont été appelées du jour au lendemain. C’est toujours à deux qu’elles couvrent un meeting, pour pouvoir se relayer. Avant l’événement, elles préparent leurs gestes à l’aide du script des précédents discours du candidat. Il faut, autant que possible, essayer de tout traduire. Quitte à faire de longues périphrases. »

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© Stéphan – ( i ) LSF

Verrons-nous beaucoup d’interprètes en LSF dans la campagne présidentielle ?

La semaine dernière, pour la première fois à ma connaissance, un potentiel candidat à l’élection présidentielle, Bruno Le Maire, s’inquiétait de l’accessibilité de la campagne et de ses débats pour les personnes sourdes et malentendantes. Il demandait notamment « une retranscription en langue des signes (sic) […] afin que les personnes sourdes et malentendantes puissent participer pleinement à cette échéance démocratique ».

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Proposition opportuniste pour rallier quelques suffrages supplémentaires ou réelle conviction politique peu importe.

Cette déclaration nous permet de nous rappeler qu’on avait lu en 2012 un article paru dans Ouest-France dans lequel, un journaliste écrivait : « tout le monde vote, y compris les handicapés. Mais tout le monde ne peut pas participer aux meetings. Les réunions de quartier, conférences thématiques ou séminaires qui ponctuent une campagne électorale sont rarement accessibles à tous : sourds, aveugles, personnes se déplaçant difficilement ou souffrant d’un handicap psychique (la claustrophobie, par exemple). La loi de 2005 relative au handicap fait pourtant de cette accessibilité un objectif ».

Notre démocratie s’anime intensément tous les cinq ans, au moment des élections présidentielles puis législatives. À la veille de ces échéances électorales, il est essentiel de souligner l’importance de rendre pleinement accessibles les campagnes des candidats à tous les électeurs. Ainsi que le stipule la Loi du 11 février 2005 pour l’Égalité des Droits et des Chances, la participation et la citoyenneté ainsi que le principe de l’accès de tous à tout s’imposent à nous tous.
Il est donc de la responsabilité de chacun des candidats et mouvements politiques de s’engager à mener une campagne la plus accessible possible. Accessible c’est par exemple, l’accès aux meetings pour les fauteuils roulants, des programmes édités en braille, des professions de foi rédigées en français facile, etc, et bien sur des interprètes F-LSF lors des prises de paroles (à la télé, sous un chapiteau, sur la place du village…).

Pour l’interprétation F-LSF, certains rétorquent parfois que le coût serait obstacle : il faut payer 2 ou 3 interprètes (avec un prix majoré car souvent les meetings ont lieu le soir ou le week-end).
Personne ne nie que la démocratie a un coût financier mais c’est pour cela que l’État français verse des subventions aux partis politiques et rembourse une partie des dépenses pour chaque candidat obtenant plus de 5% des suffrages exprimés (on a vu nos impôts plus mal utilisés).
De plus, si ces exigences sont prises en compte en amont de l’organisation de la campagne, elles entraînent des dépenses limitées par rapport au budget global d’un candidat – même si l’interprète est embauché par Bygmalion. Pour mémoire le fameux meeting de Sarkozy à Villepinte en 2012 fut estimé à 3 millions d’euros, celui de Mélenchon à la Bastille à 80 000€, Hollande et Sarkozy ont chacun dépensé (officiellement) 21 millions d’euros.

Il est aussi essentiel que cet engagement sur l’accessibilité soit partagé par l’ensemble des acteurs de la vie politique française. Sans doute au cours de cette campagne devrons nous traduire de LO au FN, des LR à EELV. Car si nous militons pour la totale accessibilité des débats en contre partie, cela signifie que nous devrons accepter de traduire des discours à l’opposé de nos convictions, que nous devrons nous retrouver sur scène à côté d’hommes ou de femmes politique dont les idées nous effraient.
Ce sera à chaque interprète d’accepter d’y aller ou pas, de se positionner en fonction de sa conscience et de ses propres limites.

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Pour 2016 (en attendant 2017), et même si cette campagne pour l’élection présidentielle ne fait que commencer, on peut dresser un premier bilan.

A la télévision le décompte est simple : zéro. Jusqu’à présent aucun débat télévisé n’a été traduit en langue des signes, aucun meeting retransmis n’a bénéficié de la présence d’interprètes F-LSF.
Pendant ce temps aux Etats-Unis tous les débats ont été traduits en ASL avec un système assez original, un interprète par candidat ou journaliste.

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A la télé française l’accessibilité des débats s’est limitée à des sous-titrages (souvent de piètre qualité et très décalé en raison du rythme soutenu et des fréquentes interruptions, relances…). D’ailleurs, un peu partout sur les réseaux sociaux on pouvait lire les critiques habituelles : « fautes d’orthographe ; ajouts de lettres qui n’ont rien à faire là, ; phrases non terminées ; propos non sous-titrés ; plus de 10 secondes de retard ; les équipes de sous-titrage sont dépassées et n’arrivent pas à suivre le direct ». De plus, il faut rappeler que la majorité des sourds de naissance ont parfois un accès difficile au français écrit en raison d’un système scolaire inadapté et ils ont dû mal à lire les sous-titres qui défilent trop vite (et admettons que c’est lassant de toujours devoir faire l’effort de lire alors que vous pourriez avoir à l’écran une personne s’exprimant dans votre langue maternelle, la LSF).

[À noter le lancement d’une nouvelle appli pour smartphone, Avametrie qui est une plateforme  collaborative d’évaluation de l’accessibilité audiovisuelle. Cette application smartphone permet à chaque téléspectateur de remonter les problèmes de sous-titrage rencontrés lors du visionnage d’un programme télévisé. Cela fera peut-être bouger les choses].

Bref, « le risque de frustration est important. Les handicapés finissent par se désintéresser des enjeux politiques alors qu’ils sont concernés » a déjà averti Jérémie Boroy, de l’Association Aditus, qui a pour objet la promotion de l’accessibilité et qui a comparé l’accessibilité des campagnes électorales précédentes à un « parcours du combattant ».
Il précise d’ailleurs : « on pense parfois à installer des ascenseurs et des rampes pour les fauteuils roulants, mais on veille rarement à ce que chacun puisse comprendre ce qui se passe à l’intérieur de la salle ».

Justement, les meetings politiques, de droite à gauche en passant par le centre.

  • A l’extrême droite, c’est vite vu, le FN n’a jamais mis d’interprète en LSF, ni sous l’ère Jean-Marie Le Pen ni sous celle de sa fille (comme à Brachay en Haute-Marne où elle lançait sa campagne en septembre dernier).
  • Chez Les Républicains depuis le début de la campagne pour la primaire, on a aperçu des interprètes aux meetings de Fillon (à Paris et Sablé-sur-Sarthe), quelques fois à ceux de Bruno Le Maire (aux Docks de Paris), aucun à ceux de Nathalie Kosciusko-Morizet, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy.

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  • A gauche hélas, pas grand chose. Mélenchon, pour son rassemblement à Bastille avait bien fait appel à des interprètes mais curieusement à seulement deux, le troisième étant un bénévole nullissime (et incompréhensible). On imagine que cela a permis de faire diminuer les coûts. Mais pas assez cependant car lors du meeting de Lille où était officiellement lancée sa campagne électorale plus rien, ni bénévole nullissime, ni interprète diplômé.
  • A la primaire du PS (qui n’en est qu’à ses débuts) aucun interprète n’a été vu chez Montebourg, Hamon, Lienemann, de Rugy, Filoche…
  • On murmure que Macron qui marche entre la gauche et la droite aurait enfin sollicité des interprètes en langue des signes pour ses derniers discours (à Strasbourg par exemple).
  • EELV, qui marche de moins en moins, a mis les interprètes au vert et aucun des discours n’a été traduit en LSF.
  • Le PCF n’a pas encore trouvé de candidat alors des interprètes…

Quant à Hollande et Valls qui – bien que non candidats (pour le moment) – participent pleinement à la vie démocratique de notre nation, toujours pas d’interprète pour traduire en langue des signes leurs propos. C’est malheureusement une triste habitude pour ce quinquennat qui a été plus que médiocre en matière d’accessibilité « politique » pour les sourds et malentendants (souvenons-nous qu’aucune déclaration d’Hollande lors des attentats de 2015 et 2016 n’a jamais été traduite en LSF). Pour apercevoir un interprète en direct à côté de Hollande il faudra sans doute attendre ses traditionnels voeux du 31 décembre sur France 3.

Autrefois en matière de politique les sourds, par manque d’information, étaient influencés par leur entourage immédiat, souvent ils votaient comme leurs parents. Permettre que  les meetings, les débats politiques soient interprétés en LSF, représente donc un réel progrès. Donc oui, espérons que dans cette campagne pour l’élection présidentielle (puis législatives) nous verrons beaucoup d’interprètes en langue des signes, passerelle entre deux communautés, car ils sont la clé pour que chaque sourd soit un citoyen à part entière, responsable et autonome, libre de ses choix et de son vote.

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© Stéphan – ( i ) LSF

Signes extérieurs – le Costa Rica et la 1ère interprète officielle du Président Costaricain.

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Deuxième escale : Le Costa Rica à la rencontre de Estefanía Carvajal, 1ère interprète officielle du Président Costaricain.

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C’est paradoxal : bien qu’elle traduise les déclarations du Président du Costa Rica, peu de télespectateurs connaissent sa voix. En effet, Estefanía Carvajal, 28 ans, est la premiere interprète officielle, en langue des signes pour la Casa Presidencial.

Chaque semaine, les Costaricains peuvent voir Estefanía Carvajal qui interprète en direct la conférence  de presse du Président Luis Guillermo Solis, signant les questions et les réponses.

Dans ce pays plusieurs lois lois exigent la présence d’interprètes en langue des signes à la télévision notamment lors des grands événements publics. L’administration Solís a été la première à se conformer à cette règle en mai 2014.

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En tant qu’interprète en langue des signes costaricienne, connue sous le nom LESCO, Estefanía Carvajal est naturellement une défenseur de la communauté sourde et elle espère que sa place à coté du Président pourra aider la population sourde à mieux s’intégrer dans la société en ayant une meilleure connaissance des informations et notamment des droits de l’homme.

« Mon métier d’interprète en langue des signes auprès du Président est une expérience incroyablement précieuse » a-t-elle déclaré au  journal Le Tico Times. « Cela me permet d’atteindre beaucoup plus de personnes sourdes. »

Elevée par ses parents sourds, Ronald Carvajal et Odilie Poveda, Estefanía Carvajal est une locutrice native de la LESCO en dépit du fait qu’elle ne soit pas sourde. Elle parle espagnol et anglais, et connait aussi la langue des signes américaine (ASL), brésilienne ainsi que les signes internationaux (SI).

« Je me sens plus à l’aise de raconter une histoire en LESCO qu’en espagnol oral » dit-elle. « J’aime plus cette langue. Je sens que je peux entrer dans plus de détails, je me sens plus à l’aise avec elle ». « Certes je parle espagnol toute la journée. Mais chez moi, avec ma famille, mes amis, je signe. »

Dans sa jeunesse et comme de nombreux enfants entendant de parents sourds connaissant l’espagnol et la LESCO, Estefanía Carvajal, a dû interpréter les rendez-vous de ses parents : visites chez le médecin, rendez-vous à la banque…
Sa première apparition à la télévision (du fait de l’absence d’interprètes professionnels à cette époque) fut en 1998, quand elle a interprété en LESCO le concours Miss Costa Rica Sorda (Miss Sourde Costa Rica) à l’âge de 12 ans.

Il faudra attendre les années 1990 pour que l’Université du Costa Rica et d’autres institutions proposent des certifications d’interprètes Espagnol-LESCO.

A présent diplômée et officiellement engagée par la Casa Presidencial, Estefanía Carvajal commence son travail à 8 heures sauf si l’actualité exige une prise de parole urgente.

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Bien qu’elle travaille au centre du pouvoir, elle ne reçoit aucune information sur les thèmes qui seront abordés ou la tonalité des discours. Elle doit donc par elle-même trouver des informations, préparer ses interventions… Puis, une fois son travail fini, elle oublie tout : « tout ce que je signe entre par une oreille et ressort par mes doigts. »

« Il y a des mots qui existent dans la LESCO qui n’existent pas en espagnol et vice versa, donc je dois donc beaucoup travailler en amont pour rendre les prises de paroles conviviales et compréhensibles » explique-t-elle.
« Le grand avantage de la langue des signes est qu’elle est très rapide et efficace. Vous pouvez dire/signer beaucoup d’informations en peu de temps. La langue orale est linéaire, de sorte qu’il faut plus de temps pour dire quelque chose, décrire une action ; je profite de ce temps gagné pour rendre mon interprétation en LESCO plus lisible ».

Par ailleurs, en plus de travailler comme interprète en LESCO, Estefanía Carvajal intervient également auprès de la vice-présidente Ana Helena Chacón comme défenseur des personnes invalides.

Sa présence au côté du Président n’est bien sur pas passée inaperçue au sein de la communauté sourde. Victor Hugo, président de l’Association Nationale des Sourds du Costa Rica (ANASOR) reconnait que la décision de l’administration d’avoir un interprète auprès du Président costaricain est une étape positive mais qu’il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, il regrette que la communauté sourde ait qu’un accès limité aux émissions de divertissement  et à l’information. De plus, lors des discours du Président de la République, le cadrage sur l’interprète n’est pas parfait et parfois elle disparait de l’écran.

Cependant, comme le dit une femme sourde : « voir une interprète en langue des signes à coté du Président est un symbole fort. Grâce à Estefanía Carvajal il y a toujours une personne qui rappelle aux gens que nous existons. »

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The Tico Times News : Costa Rica’s first official sign language interpreter has long history of bridging the communication gap  

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[Comme la récente actualité française nous l’a montré, une fois encore la France est à la traine en matière d’accessibilité pour les sourds et cet article est aussi là pour nous le rappeler. La traditionnelle interview de François Hollande le 14 juillet ne fut pas interprétée en LSF tout comme les nombreuses déclarations des officiels suite à l’attentat de Nice]

© Stéphan – ( i ) LSF

 

Signes extérieurs – le Sultanat d’Oman et ses 6 interprètes

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Première escale : le Sultanat d’Oman avec seulement 6 interprètes en langue des signes pour 15000 sourds.

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Oman, monarchie indépendante située au sud de la péninsule d’Arabie a le deuxième plus grand nombre de sourds et malentendants dans la région après l’Arabie Saoudite mais seulement six interprètes en langue des signes d’après une étude menée par l’Association des personnes sourdes et malentendantes d’Oman (OAHI).

« En Arabie Saoudite on dénombre 88000 personnes sourdes ou malentendantes et au moins 15000 à Oman d’autant que notre étude n’a pas atteint des villages et tribus éloignés » rapporte Yaya Al Barashdi, membre de l’OAHI.

Afin de développer l’usage de la langue des signes et permettre aux sourd de mieux s’intégrer à la société, l’OAHI a créé en 2013, un 1er centre pour l’apprentissage de la langue des signes.

« Cet institut de formation permettra à tous, sourds et entendants, de se former à la langue des signes, y compris les employés de banque, les enseignants, les employés de plusieurs ministères et bien sur ceux qui voudraient devenir interprète en langue des signes » explique Hassan Ali, interprète en langue des signes et coordinateur du projet. « Il est indispensable que nous développions la formation d’interprètes en langue des signes car aujourd’hui nous n’avons que 6 professionnels certifiés ce qui ne suffit pas pour couvrir tous les besoins de la population sourde. »

« Il devrait être obligatoire de nommer au moins un interprète en langue des signes dans toutes les administrations et en particulier celles qui sont en contact avec le public »,  selon Al Amri, sourds et membre de l’OAHI.

Bonne élève, la Police Royal d’Oman (ROP) a choisi d’être le 1er service public dans le Sultanat à déployer des interprètes en langue des signes dans toutes ses unités.
Pour cela la ROP a proposé aux membres de son personnel de suivre la formation pour devenir interprètes en langue des signes ; ces agents seront ensuite placés dans les différents postes de police à travers le pays. « Notre objectif initial est de fournir au moins un agent formé dans chaque zone ou wilayats » déclare Al Badai reponsable du programme de formation pour les policiers.

« Il est temps pour les autres ministères de suivre les traces de la ROP » affirme Ahmad Al Amri. Il espère notamment qu’une telle décision facilitera l’embauche des personnes sourdes.

« Il est très difficile pour les sourds de trouver un emploi car les entendants ne pratiquent pas la langue des signes. Former des interprètes est donc indispensable » remarque Hassan Ali.
Pareil dans les écoles où « trop d’enfants sourds sont déscolarisés car ils ne peuvent pas suivre les cours. »

« En raison du manque d’interprètes nous nous sentons coupés du reste de la population » conclut  Al Barashdi de OAHI.

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Times of Oman – Oman has just six interpreters to help 15,000 hearing impaired 

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© Stéphan – ( i ) LSF

Des GayPride accessibles dans la joie et la LSF

On ne peut pas devenir interprète en langue des signes sans être persuadé que les Sourds sont des citoyens à part entière et autonomes ce que la société française en général et nos hommes politiques en particulier ont tendance à oublier.

Dans les années 80/90, à l’issue du mouvement des années 70 qu’on a appelé le Réveil Sourd, les interprètes F-LSF étaient très liés à la communauté sourde. Il s’agissait pour cette jeune profession de s’affirmer via un combat, un militantisme commun autour justement de cette reconnaissance de l’individu sourd en tant que citoyen autonome ; ils étaient avec les sourds pour traduire mais aussi pour soutenir leurs revendications autour de la reconnaissance de l’identité sourde, de la culture sourde, de leur langue, la LSF et bien sur de leurs besoins en interprétation.
Cela a d’ailleurs donné lieu à plusieurs recherches universitaires autour de ce thème : « Interpréter en langue des signes est-ce un acte militant ? » (Christine Quipourt et Patrick Gache ou Maud Thibault).

Aujourd’hui la professionnalisation de notre métier a sans doute entrainé un éloignement entre cette communauté et les interprètes, au profit d’une plus grande neutralité. On peut certes le regretter mais cela a aussi permis d’avoir une image plus légitime et crédible auprès des entendants et éviter l’amalgame interprète = communauté sourde.
En outre, nous restons, bien sur (et j’espère fièrement), des ambassadeurs de la langue des signes et de la culture sourde auprès de la société entendante.

Par ailleurs, ce gout commun pour le militantisme n’a pas entièrement disparu. Il a évolué vers de nouvelles revendications, également partagées, comme l’accessibilité pour tous, l’égalité des droits au sein de la société, le refus des discriminations, la protection de l’environnement…

Ce n’est donc pas un hasard si cette année encore, en ces jolis mois de juin et de juillet, les marches des fiertés (gay pride pour les plus anciens) sont l’occasion de voir un peu partout en France, des interprètes F-LSF traduire les discours en tête des cortèges : à Paris, bien sur et dans les grandes villes françaises comme Nantes, Montpellier, Lille, Lyon…
Par leur présence, les interprètes permettent aux sourds d’accéder aux débats, au discours, mais aussi de revendiquer, de manifester d’être vus et entendus par la société civile. C’est ainsi que nos deux communautés se rapprochent à nouveau auprès de valeurs communes.

Car interpréter c’est aussi s’engager à agir pour et avec les autres.

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© Stéphan – ( i ) LSF

Une justice difficile d’accès pour les sourds

Début mai, l’émission de France-Inter « Dans le prétoire » proposait un reportage de Violette Artaud sur les sourds et la justice.
Comme on y parle aussi des interprètes en langue des signes, en voici la retranscription.
Pour écouter l’émission, c’est par ici : « dans le prétoire ».

 

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La justice ne sert pas toujours au mieux les intérêts des sourds-muets.
Pourtant, la Convention européenne des droits de l’homme stipule que toute personne a le droit de faire entendre sa cause de manière équitable mais dans les faits, c’est beaucoup plus délicat qu’il n’y paraît.

Il y a quelques années, Anne-Sarah Kertudo perd l’audition. A l’époque, elle fait des études de droit. En apprenant la langue des signes, elle découvre le monde du silence. Dans ce monde, le mot justice est très confus. Aujourd’hui Anne-Sarah Kertudo peut de nouveau entendre. Elle a créé la première permanence juridique en langue des signes.

– Anne-Sarah Kertudo : « On se retrouve avec 80% environ de personnes sourdes qui ne savent ni lire, ni écrire. Pour eux, connaître leurs droits, quand on ne peut pas avoir l’information à l’oral, quand on ne peut pas la lire, quand on ne l’entend pas à la radio ni à la télévision, c’est extrêmement compliqué. Donc ils ne savent pas par exemple si la peine de mort existe ou pas en France, ils ne savent pas si l’avortement est légal ou pas, ils ne savent pas forcément faire la différence entre un avocat, un policier ou un juge. »

Anne-Sarah Kertudo se démène pour ceux que l’on oublie ou que l’on discrimine. Certains souvenirs d’injustice sont gravés dans sa mémoire.

– Anne-Sarah Kertudo : « Une des dernières affaires que j’avais suivie, c’était une gamine qui avait été abusée sexuellement par son beau-père et à la fin la présidente a demandé à l’accusé : « est-ce que vous avez quelque chose à dire à votre belle fille ? ». L’accusé a dit quelque chose effectivement à sa belle-fille mais à cet instant-là, la personne qui traduisait était en pause. Donc la gamine n’a jamais su ce que lui avait dit son beau-père. »

Situation d’injustice ou situation absurde ? Catherine Scotto est présidente de la commission handicap du barreau de Seine-Saint-Denis. Elle s’exaspère du manque d’interprètes en langue des signes.

– Catherine Scotto : « Nous avons eu dans une audience un mineur qui parlait la langue des signes, qui ne parlait pas le français, qui parlait la langue arabe. L’interprète en langue arabe faisait la traduction français-arabe au papa et le papa faisait la traduction en langue des signes à son fils. Ce qui complique un peu les choses. »

Il faut dire que le métier d’interprète est très fatiguant. A cause de problèmes de dos, Marie Brigand a dû arrêter de l’exercer, elle était sollicitée tous les deux jours.

– Marie Brigand : « À une époque, en Ile-de-France, sur la cour d’appel de Paris, j’étais la seule inscrite. Après nous étions deux. Globalement, il y a très peu d’interprètes en langue des signes française diplômés qui interviennent pour la justice. Il y a également le problème de la rémunération, on est payé au mieux six mois après et souvent un an, deux après. »

Sans compter que les interprètes sont payés deux fois moins dans la justice que dans le privé.

Mais le manque d’interprètes n’est pas le seul problème.
Si les sourds ne connaissent pas leurs droits, la justice, elle, ne connaît pas les sourds. Plus pour longtemps, dit Anne-Sarah Kertudo. Elle travaille sur une formation au handicap dans le cursus des juristes.

– Anne-Sarah Kertudo : « Est-ce qu’on va parler du handicap, comment on en parle, quel mot on utilise, est-ce que je dis à l’autre, est-ce que je vais le blesser si je lui en parle ? On aborde toutes les questions de comportement aussi. Est-ce qu’une personne sourde, je lui parle en parlant plus fort, comment je m’y prends ? On donne des réponses sur tout ça par des mises en situation. »

Au XVIIIè siècle, les sourds étaient considérés comme hors-la-loi. Aujourd’hui les choses ont changé, mais il reste encore un long chemin à parcourir avant de rétablir l’équité.

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Anne-Sarah Kertudo a publié sa biographie dans laquelle elle revient sur la création de la permanence juridique : « Est-ce qu’on entend la mer à Paris » sous-titrée « Histoire de la permanence juridique pour les sourds » (2010).

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© Stéphan – ( i ) LSF

Un gant n’est pas un interprète (et inversement)

Si j’avais le talent de Jean de Lafontaine, j’écrirais ce billet sous forme d’une fable qui raconterait l’histoire de ce gant, qui se prit pour un interprète pouvant traduire des langues des signes et qui à la fin se dégonfla comme une baudruche, les créateurs de ce gant « traducteur » s’apercevant (et les journalistes avec eux) qu’ils s’étaient fourrés encore une fois le doigt (ganté) dans l’oeil.

En effet, depuis quelques jours réapparait l’invention qui doit bouleverser le monde de l’interprétation en langue des signes et celui de la communication entre sourds et entendants : deux étudiants de l’université de Washington, Thomas Pryor et Navid Azodi, ont inventé SignAloud, des gants capables de traduire la langue des signes américaine (ASL) en un discours oral, dixit de nombreux sites d’informations grand public ou technologiques.
Chaque gant comporte des capteurs sur les doigts et les poignets qui enregistrent la position des mains et les mouvements qui correspondent aux mots et phrases dans la langue des signes américaine. Ces données sont envoyées en Bluetooth à un ordinateur qui les étudie à l’aide d’un algorithme séquentiel qui fonctionne à la manière d’un réseau neuronal (je dois admettre que j’ai fait un copié-collé de ce passage car je n’ai pas tout compris).
Si les données correspondent à un geste, le mot associé (ou la phrase) est énoncé en anglais via le haut-parleur.

Bien qu’à l’état de prototype, ces gants permettraient d’exprimer des messages simple en une langue ultra simple qui ressemble cependant plus à de « l’américain signé » (les signes sont plaqués sur la syntaxe la langue anglaise orale) qu’à l’ASL (American Sign Language).

Sans juger de la réelle qualité de ces gants, on peut néanmoins affirmer que la communication autour de ce projet a été très efficace car un peu partout dans le monde, des journalistes relayés par les réseaux sociaux, ont proclamé : « ils ont inventés des gants qui traduisent la langue des signes » (BFMTV par exemple).

Une remarque d’abord. Ce n’est pas le premier essai et cette « invention » n’a rien de révolutionnaire. En 2012 déjà, des ukrainiens avaient été récompensés pour une invention semblable comme le racontait le site SooCurious avec déjà la même accroche : « Des étudiants inventent des gants capable d’opaliser le langage des signes » (inutile de revenir sur l’appellation erronée de langage des signes à la place de langue des signes).

Ensuite on notera que ce sont toujours des étudiants ingénieurs (en informatique, en génie mécanique…) qui sont à l’origine de ces créations. Jamais dans leurs équipes il n’y a de linguistes, de sourds ou d’interprètes capables leur expliquer la structure, le fonctionnement bref le génie de ces langues gestuelles (qui ne sont pas des langages tel que le langage informatique mais bien des langues) et pourquoi nous somme loin d’une solution gantée permettant de « traduire » d’une langue des signes vers une langue orale.
Les journalistes non plus ne sont pas très curieux : jamais ils n’interrogent ces mêmes linguistes, sourds ou interprètes sur la validité de ces projets.

Personnellement, je doute que prochainement ce système pourra traduire fidèlement et agréablement un long discours.
En effet les langues des signes sont vivantes, complexes. Elles ne sont pas qu’une succession de signes. Elles possèdent leur propre syntaxe qui est intimement liée à la perception visuelle, puisque cette langue répond à une logique visuelle et non auditive. Ainsi la grammaire de la langue des signes française (LSF) n’est pas identique à celle du français (par exemple la place des mots dans la phrase n’est pas la même). Elle se construit comme un plan au cinéma. D’abord le temps (passé-présent-futur), ensuite le lieu (où cela se passe-t-il ? ), puis les acteurs (qui ? ) et enfin l’action (le verbe).

Les discours énoncés sont basés sur l’utilisation des signes donc des mains mais aussi du regard et de l’espace, des expressions du visage (il est admis que les langues des signes sont composées de 5 paramètres) : les configurations des mains, leurs emplacements, leurs orientations et leurs mouvements forment des signes équivalents à des mots disposés devant soi comme sur une scène de théâtre.
(Ces paramètres peuvent même monter jusqu’à 8 selon les dernières théories linguistiques en y incluant la labialisation, les postures… ).
Les emplacements de ces signes, ainsi que la direction du regard, permettent de visualiser les relations (actif ou passif), le temps (signes tournés vers l’arrière pour le passé, vers l’avant pour le futur). Le visage et le mouvement des épaules servent aussi à exprimer les nuances du discours, les émotions par exemple l’ironie, le doute, la colère…

Ces gants et leurs capteurs auront-ils la précision et la finesse nécessaires pour détecter tous ces paramètres ? Les algorithmes seront-ils assez élaborés pour déterminer avec exactitude l’intention du locuteur ? Aujourd’hui non, demain pas sur, un jour… sans doute.
Au mieux, actuellement, ce système pourrait traduire quelques signes simples en mots, quelques phrases basiques (sujet/verbe/complément).
De là à proclamer que des gants peuvent traduire la ou les langues des signes il y a un gouffre (car bien sur comme chaque pays ou région possède sa propre langue des signes, il faudra aussi multiplier les programmes informatiques et autres algorithmes pour prendre en compte cette diversité).

Enfin qui voudrait porter ces vilains gants pour se rendre chez son boulanger et acheter une baguette en langue des signes avec traduction par une voix synthétique (je ne parle même pas d’aller boire un dernier verre dans un bar). 
Sans être un adepte du « c’était mieux avant » et refuser toute idée de progrès on peut remarquer que la technique habituelle de la phrase écrite sur un bout de papier reste très efficace et que le mime ou le pointage conservent leur charme. Bref, les sourds n’ont pas attendu ces gants pour être autonomes et communiquer dans des situations simples de la vie de tous les jours. 

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Ces gants ne sont qu’un exemple parmi les nombreuse tentatives pour accéder à la compréhension de la langue des signes sans passer par l’effort de l’apprendre.
D’autres systèmes sont censés traduire comme celui utilisant Kinect (de Microsoft) avec une caméra de reconnaissance interactive branchée sur la console Xbox 360 et qui reconnait puis traduit les signes.
En enregistrant puis en normalisant les mouvements de la langue des signes, le système utilise un algorithme pour déterminer l’alignement du mouvement de la trajectoire 3D. Une fois que la machine a assimilé les données visuelles, elle essaye de les faire correspondre aux mots qu’elle connaît par ordre de pertinence via son dictionnaire interne. A l’inverse, le système peut aussi traduire les textes sous la forme d’avatars signeurs qui apparaissent à l’écran. Cette invention date de juillet 2013 mais depuis la parution de quelques articles, plus de nouvelle. 

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Face à ces nombreuses tentatives toujours infructueuses, il est bon cependant de rappeler qu’il existe aujourd’hui dans le monde un système de traduction qui fonctionne bien et qui s’appelle « interprète en langue des signes ». Malheureusement – en France notamment – cette profession peine à se développer, faute de budget nécessaire d’abord pour la formation de ces futurs professionnels puis pour leur assurer une rémunération décente.  

Il ne faudrait pas que ces beaux projets high-tech nous fassent oublier que le Ministère de la Justice paye péniblement 30€ brut l’heure d’interprétation dans un tribunal, que la CAF dans certaines régions refuse de faire appel à des interprètes F-LSF pour des raisons budgétaires, qu’en mairie, pour se marier et comprendre les articles du Code civil (ardus à traduire), c’est le sourd qui devra souvent payer de sa poche la prestation d’interprétation. Et ces gants n’y changeront rien.

Aussi, avant de se pâmer devant de futurs et hypothétiques progrès technologiques (qui adviendront sans doute dans quelques années ou décennies) intéressons-nous davantage (et vous aussi les journalistes) aux carences de la société française en matière d’accessibilité et n’oublions pas le présent en encourageant la communication entre sourds et entendants grâce à la présence d’interprètes diplômés et justement payés c’est à dire un peu plus que les 1300€ que touchera en moyenne un interprète F-LSF débutant après 5 années d’études. 

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© Stéphan – ( i ) LSF

Pétition pour la création d’un centre relais téléphonique généraliste

En France, 500 000 personnes sourdes, malentendantes ou handicapées de la communication (sourdes-aveugles, aphasiques…) ne peuvent pas téléphoner du fait de leur handicap auditif. Cet obstacle a des répercussions au quotidien dans leur vie personnelle, sociale et professionnelle.

Comme je vous l’expliquais dans un billet précédent, de nombreux pays ont fait le choix depuis plusieurs années de mettre en place des centres relais téléphoniques généralistes. Il s’agit d’une plate-forme en ligne, depuis laquelle des professionnels de la communication accessible (interprètes en langue des signes, transcripteurs…) mettent en relation deux interlocuteurs qui n’ont pas le même mode de communication, et assurent, en temps réel, l’accessibilité de leur échange téléphonique, quel que soit le motif de l’appel.

Le gouvernement comprenant enfin l’importance de ce dispositif a proposé un article dans son projet de loi pour une République numérique afin d’impulser et d’organiser le développement d’un centre relais téléphonique généraliste.
L’association française des interprètes en langue des signes (AFILS) s’était notamment mobilisée pour exiger que
les interprètes F-LSF travaillant dans ces centres relais téléphoniques possèdent un master 2 en interprétation.
Je vous exposais les arguments dans ce billet « Pour une République numérique accessible« .
D’autres amendements ont été proposés par la FNSF, l’UNISDA, le MDF, l’AFIDEO, l’ANPEDA, l’ANPSA, la FNAF, Aditus.

Aujourd’hui, l’article 43 sur les centres relais téléphoniques tel qu’il sera mis en débat au Parlement ne correspond pas aux attentes des associations concernées.

Aussi je vous encourage à signer cette pétition mise en ligne par les associations oeuvrant pour la création d’un centre-relais téléphonique généraliste afin qu’il soit réellement opérant et universel. Elle sera transmise au gouvernement et aux membres du Parlement (députés et sénateurs).

Petition pour que les personnes sourdes ou
handicapées de la communication puissent téléphoner 

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© Stéphan – ( i ) LSF