Catégorie : International

Douarnenez, un Festival de cinéma militant pour Entendants et Sourds

Le Festival de cinéma de Douarnenez est né en 1978 à l’époque de grands rassemblements qui ont secoué l’histoire de la Bretagne et renforcé un vaste tissu associatif et militant. Ces luttes ont également aiguisé l’intérêt et la solidarité envers les combats et les résistances d’autres peuples, qu’on nommait « minorités nationales » ou « diversités culturelles ».

Logiquement, dès son origine le Festival s’est interrogé sur les revendications linguistiques, culturelles et politiques de ces minorités d’ailleurs, en écho au contexte de lutte pour la survie de la culture et de la langue bretonnes en s’intéressant à cette notion de patrimoine des humains, celui de l’humanité, des langues, des cultures, des expressions singulières des peuples et des communautés, en présentant un cinéma inédit en France.

Pour sa 41e édition, fidèle à une tradition d’accueil des minorités, pour lesquelles la culture en ­général et le cinéma en particulier expriment des formes de résistance et de lutte, le Festival de ­cinéma de Douarnenez célèbre, jusqu’au 25 août, les « Peuples des Congo(s) ». Un pluriel lié à une partition toujours à l’œuvre, issue des colonisations menées par la France et la Belgique pendant près d’un siècle. D’un côté la République du Congo (Congo-Brazzaville) ; de l’autre la République démocratique du Congo (RDC ou Congo-Kinshasa).

D’autres minorités et cultures en lutte sont également présentes tel les Intersexes ou les Sourds.

Ainsi, depuis 8 ans, le Festival fait une large place au Monde des Sourds (avec un S majuscule pour signifier l’appartenance culturelle et linguistique à une minorité définie de façon anthropologique comme pour une ethnie, un peuple), l’idée étant de les montrer sous l’angle d’une minorité (linguistique) victime de discriminations et engagée dans leur lutte pour la reconnaissance de leur langue et de leur culture. Lutte similaire finalement aux peuples bretons, corses…

Comme le raconte Laetitia Morvan, l’une des initiatrices de ce projet, « au moment où le Festival a intégré le monde des Sourds dans sa programmation, c’était avec la conscience qu’il s’agissait bien d’une minorité avec sa langue et sa culture propre. Mais l’équipe était alors freinée dans sa prise de contact avec la communauté : personne ne maîtrisait la LSF… on ne savait pas comment s’y prendre. Face à ce blocage de communication, le Festival a choisi de faire appel à des personnes entendantes connaissant la langue des signes, d’échanger avec elles pour glaner un maximum d’informations sur les Sourds. L’une de ces personnes entendantes, Maëlc’hen Laviec, s’est tout de suite mobilisée de son côté pour interpeller les Sourds. Elle a insisté pour qu’ils s’investissent dans la programmation afin de s’assurer qu’elle était cohérente avec leur réalité et que l’accessibilité correspondait bien aux besoins. Il est vrai que les Sourds sont très souvent frileux lorsqu’on leur propose des projets dont ils savent qu’ils sont organisés par des entendants. On trouve typiquement cette réaction de défiance chez eux. En effet, les Sourds ont l’habitude depuis très longtemps de voir les entendants tout organiser à leur place, passer leurs appels téléphoniques, etc, etc… en bref, prendre le pas pour tout gérer et tout diriger. Cela entraîne un sentiment de ras-le-bol et de nombreux malentendus culturels. »

Voila pourquoi, sous la houlette de ma collègue Laure Boussard, une vingtaine d’interprètes F/LSF bénévoles se relaient sur les différents sites du Festival pour permettre à chacun de communiquer avec l’autre.

Au delà de cette remarquable concentration d’interprètes en langue des signes (sans doute un record en France), cela permet surtout aux Sourds de découvrir d’autres cultures au même titre que chaque festivalier ; les interprètes étant (comme toujours) le trait d’union entre Sourds et Entendant, sans mise à distance ni différences…

Le site du Festival : http://www.festival-douarnenez 

 

Etre l’interprète de personnages publics par Cultures Connection

Récemment l’agence Cultures Connection qui est spécialisée en traduction et autres services linguistiques et web m’a contacté pour me proposer un partenariat et publier un article sur mon blog « des signes et des mots ». 

Flatté, j’ai accepté avec grand plaisir d’autant que Cultures Connection tient un blog trilingue que je lis régulièrement et dans lequel on trouve plus de 300 articles de contenu, touchant aux divers aspects de la traduction et à l’actualité de ce domaine. Voici le lien vers leur site que je ne peux que vous encourager à visiter :
http://culturesconnection.com/fr/blog-de-traduction/

L’article proposé présente les interprètes qui travaillent aux cotés des chefs d’Etat et autres personnages puissants de la planète.
C’est intéressant car il rappelle non seulement le rôle sensible que jouent les interprètes dans cette fonction mais aussi propose une réflexion sur la neutralité et les risques encourus par l’interprète à écorner son image en étant, parfois, assimilé à tort à la personne qui s’exprime.

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Quand l’interprétation devient personnelle

Dans le feu de l’action et au cœur de l’actualité, avant même qu’elle ne soit rendue publique, voilà le pain quotidien du métier de l’interprétation, dont une grande part du marché touche les relations et négociations géopolitiques dans le monde. Dans l’exercice de leur fonction, certains interprètes sont amenés à travailler pour – ou avec – des personnages publics, des hauts dignitaires, des chefs d’Etat, … En d’autres termes, des individus dont la réputation a un prix, avec une image à façonner ou à préserver, reconnus pour leurs opinions et leur éloquence. Inutile de dire que la transposition de leurs paroles dans une autre langue constitue un réel enjeu pour eux sur la scène internationale. Dans ce contexte, l’interprète joue un rôle de vecteur puisqu’il arrive que ses paroles figurent en gros titre des journaux locaux. Barack Obama, Vladimir Poutine, François Hollande ou encore Angela Merkel font tous appel aux services d’interprètes attitrés.

Les traducteurs et interprètes répondent parfois d’accusations d’incidents diplomatiques – il paraîtrait, par exemple, que le bombardement d’Hiroshima ait été partiellement déclenché par une imprécision de la traduction – parce que leurs erreurs peuvent mener à des situations rocambolesques. Lorsqu’une incompréhension ou un malentendu surgit entre deux ou plusieurs parties, il est facile d’en attribuer la responsabilité à l’interprète. Et lorsque celui-ci se trompe, c’est le personnage public qui en souffre, ses paroles peuvent envenimer les relations entre deux Etats, voire même mettre un terme aux négociations. Dès lors, pour éviter de « déclencher une troisième Guerre mondiale », certains chefs d’Etat et autres figures de proue choisissent la sécurité en embauchant systématiquement le même porte-parole.

Il peut s’agir de professionnels formés en interne, comme au Kremlin, ou de free-lances suivant une seule personne. Ils accompagnent leur client à tout moment et à tous types d’occasion quand la langue cible en question est impliquée, que ce soit à des rendez-vous d’affaires, en voyage, en conférence de presse, sur les plateaux télé ou autres circonstances et sont capables de travailler en simultanée, en consécutive et en liaison.

A priori, de cette façon, le personnage public s’assure une confiance aveugle en un messager spécialisé, qui maîtrise tous les sujets qui pourraient être abordés et est toujours préparé. Il représente un interlocuteur unique, fiable et responsable qui ne mettra pas en danger la réputation de son employeur. L’interprète ne devrait avoir aucun problème à comprendre les intentions et subtilités du message de l’orateur, qu’il connaît par cœur.

Pour l’interprète, bien que cette fonction soit une place de choix, elle comprend tout de même certaines difficultés, inhérentes à la profession de façon générale. Tout d’abord, un professionnel n’est pas obligé et ne devrait pas accepter une mission s’il n’adhère pas au message transmis par l’orateur, pour des questions d’éthique, de professionnalisme et d’amour de son métier. Soulignons, par exemple, le défi auquel ont fait face les interprètes d’un candidat lors de la course à la Maison Blanche.

Si le personnage public met sa réputation entre les mains de son interprète, l’image de ce dernier se voit également affectée par les missions qu’il accepte. Il faut admettre que le public associe parfois orateur et interprète sans discernement. Enfin, les hommes politiques sont connus pour jouer avec l’intonation, les hésitations, et la vitesse, entre autres, dans leurs discours et, dans le cas susmentionné, sur la vulgarité, les accusations et les insultes. Il convient, bien évidemment, de transmettre les mêmes intentions en restant toujours le plus fidèle possible.

Cet article est proposé par Gaëlle de Cultures Connection.

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© Stéphan – ( i ) LSF

Signes extérieurs – Mexique : des interprètes en manque de reconnaissance

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Troisième escale : Le Mexique où les interprètes en langue des signes mexicaine doivent se battre pour faire reconnaitre leur métier à sa juste valeur. 

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Les personnes sourdes au Mexique sont doublement lésés quand ils souhaitent bénéficier de la présence d’un interprète en langue des signes.

D’une part il y a une pénurie d’interprètes certifiés et qualifiés et, d’autre part, les compétences de ces interprètes sont peu reconnues ce qui, par ricochet, accroit un peu plus les discriminations subies par les personnes sourdes ou malentendantes qui n’ont pas toujours en face d’elles des professionnels compétents.

« Les personnes sourdes ou malentendantes ne sont pas considérées comme une minorité linguistique. À cela s’ajoute la carence en matière de formation professionnelle pour les interprètes en langue des signes, vu qu’il n’existe pas de cours officiel. Il est difficile pour nous d’être considérés comme des professionnels », dénonce Erika Ordoñez, présidente de l’Association des interprètes en langue des signes du Distrito Federal (AILSDF).

Dans ce pays d’Amérique latine de 122 millions d’habitants, 15% de la population souffrirait de troubles auditifs et entre 300.000 et 500.000 mexicains s’exprimeraient par le biais de la langue des signes mexicaine , LSM (langue de seras mexicana). 

Or le pays ne compte que 42 interprètes en langue des signes officiellement certifiés. A ce chiffre il faut ajouter 350 personnes non diplômées qui « font office » d’interprètes avec des niveau très disparates. 

Conséquence première : des centaines de milliers de Mexicains devant avoir recours à un interprète E-LSM sont exclus, à des degrés divers, de la société, car il ne peuvent pas avoir accès à des services essentiels comme l’éducation, la santé, la justice… 

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En 2008, le Conseil national de normalisation et certification des compétences professionnelles (Consejo Nacional de Normalización y Certificación de Competencias Laborales, Conocer) du gouvernement mexicain a créé la norme NUIPD001.01 relative à la « prestation de services d’interprétation de la langue des signes mexicaine à l’espagnol », qui énonce les conditions devant être réunies par un interprète qualifié. Malheureusement l’instauration de cette norme n’a eu que peu d’effet et la reconnaissance du métier d’interprète en langue des signes se fait encore attendre. D’ailleurs cette norme n’a jamais été mise à jour (alors que la date butoir pour sa révision était en juin 2013). 

A cause de ce manque d’interprètes certifiés, le Mexique est en infraction à la Convention sur les droits des personnes handicapées de l’ONU en vigueur depuis 2008, ainsi qu’à la Ley General para la Inclusion de las Personas con Discapacidad (Loi générale pour l’inclusion des personnes handicapées) de 2011.
La Convention prévoit notamment que les États garantissent aux personnes handicapées l’accès à la justice à des conditions égales au reste de la population dans le cadre de toute la procédure judiciaire, y compris aux stades préliminaires de l’enquête.
Quant à l
a loi mexicaine, elle stipule que les personnes handicapées auront droit de bénéficier d’un traitement digne et approprié dans le cadre des procédures administratives et judiciaires dans lesquelles elles seraient engagées, ainsi que de conseils et d’une représentation juridique gratuite. 

Des négociations sont en cours entre l’AILSDF et le Tribunal de grande instance du District Fédéral sur la rédaction d’une convention qui permettrait la participation des interprètes aux nouvelles audiences orales des tribunaux, ce qui permettra aux juges d’entendre les arguments présentés oralement grâce à la présence d’interprètes en langue des signes au lieu de devoir recourir à des déclarations écrites ce qui rallonge les procédures et augmente les couts.  

Malheureusement la rémunération proposée pour de telles prestations d’interprétation équivaut à cinq jours de salaire minimum, soit un niveau considérablement inférieur à la rémunération des interprètes de conférence (le salaire minimum au Mexique se situant aux alentours de 5 USD par jour). Par ailleurs, la magistrature du District Fédéral, qui englobe Mexico, veut que les experts soient payés à partir du début de l’audience et non pas à leur arrivée aux tribunaux, comme dans le cas d’autres professionnels du secteur. Enfin, ce texte ne fait aucunement référence aux conditions de travail des interprètes, notamment le paiement en cas d’annulation d’une prestation pour un motif qui n’est pas du ressort de ces derniers. 

« C’est un droit qui n’est pas respecté. Des services d’interprétation ne sont pas assurés même pour des questions fondamentales comme la santé et l’éducation. Une telle carence ne devrait pas exister en vertu de la législation, mais celle-ci n’est pas respectée », signale Xochitl Rodriguez, directrice adjointe des « cours d’inclusion » pour personnes handicapées à l’Universidad Tecnológica Santa Catarina, université de l’État située dans la ville de Monterrey, à environ 900 kilomètres au nord de Mexico. Cette institution fondée en 2005 compte quelque 2200 étudiants, dont 250 présentent un handicap et a recours aux services d’une équipe de 17 interprètes pour couvrir les besoins des élèves de niveau primaire, secondaire, baccalauréat et universitaire. Dans ce même État de Nuevo Leon, dont Monterrey est la capitale, on ne compte que trois interprètes certifiés, dont le salaire moyen tourne autour de 13$ de l’heure.

Si les plaintes pour discrimination déposées par les personnes sourdes ont été en progression constante depuis 2013, cette statistique n’est qu’une estimation basse car les cas de discrimination ne donnent pas toujours lieu à des plaintes formelles. En 2013, le Conseil national pour la prévention de la discrimination (Conapred) a déposé 12 plaintes. L’année suivante, 16 cas ont été examinés par le même organisme.

« Il y a très peu de personnel qualifié pour contrôler évaluer les interprètes qui assistent aux audiences dans les tribunaux ; ils devraient pourtant être certifiés en tant qu’experts judiciaires. Le Conseil national pour le développement et l’inclusion des personnes handicapées (Connais) devrait s’occuper de leur certification mais il ne le fait pas ». remarque Erika Ordonnez, elle-même fille de parents sourds qui a appris la langue des signes mexicaine quand elle était encore enfant et qui est aujourd’hui une interprète certifiée. 

L’une des priorités d’action du Programme national pour le développement et l’inclusion des personnes handicapées 2014-2018 fait précisément référence au nécessaire développement de la LSM sur tout le territoire. Il prévoit aussi de mettre en œuvre des mesures afin que l’administration judiciaire dispose d’experts spécialisés dans le domaine du handicap et de la langue des signes. Il est prévu d’actualiser les normes sur les compétences professionnelles et d’organiser des programmes de formation et de certification pour de futurs interprètes en langue des signes.

« Il est urgent de normaliser les critères pour l’exercice de la profession d’interprète E-LSM et d’informer la population sur le rôle important joué par ces interprètes, afin qu’ils soient enfin reconnus à leur juste valeur et ne soient plus vus comme des personnes qui exercent un métier non qualifié » souligne Xochitl Rodriguez.

© Equal Times : Mexican sign language interpreters navigate disability discrimination 

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© Stéphan – ( i ) LSF

Signes extérieurs : la Belgique en manque d’interprètes

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Troisième escale : La Belgique où, en raison d’une pénurie d’interprètes en langue des signes belge francophone (LSBF) – il existe aussi une langue des signes belge flamande, en néerlandais : Vlaamse Gebarentaal (VGT) – de nombreux sourds ne peuvent bénéficier de la présence de ce professionnel diplômé pour leurs besoins quotidiens, privés ou professionnels.

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Le métier d’interprète en langue des signes est essentiel pour garantir l’indépendance de ceux qui sont atteints de surdité. Ces professionnels ont pour but de les accompagner dans leurs activités quotidiennes et professionnelles (comme une visite chez le médecin, le notaire, ou tout simplement commander une pizza). Mais la Fédération Wallonie-Bruxelles ne compte qu’une vingtaine d’interprètes (qui n’exercent pas tous de façon régulière). Un nombre largement insuffisant pour répondre à la demande de la part des sourds.

« Pour pouvoir bénéficier d’un interprète, les sourds s’adressent ou à l’Aviq (Wallonie) ou au Phare (Bruxelles), mais très souvent, les délais sont longs et les refus nombreux. Le plus surprenant, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’un problème de financement, il y a juste un vrai manque de professionnels », explique Pascaline Brillant, interprète en langue des signes depuis 10 ans.

Face à cette situation, les sourds se débrouillent comme ils peuvent. « Au bout de plusieurs refus, ils baissent les bras et demandent à quelqu’un de leur entourage de les accompagner. Mais ce peut être dérangeant car ils perdent une partie de leur autonomie et n’ont parfois pas envie que leurs proches soient au courant de leurs problèmes médicaux par exemple, alors qu’un interprète est tenu au secret professionnel », poursuit Mme Brillant.

Pour faire face à cette pénurie, des alternatives se développent. Parmi elles, le Relais Signes, qui permet aux personnes sourdes de communiquer par téléphone. Le fonctionnement est simple : la conversation se fait via un ordinateur et une webcam. L’interprète fait alors la traduction de la langue des signes en direct vers l’interlocuteur à l’autre bout du fil. Mais là aussi, le personnel manque : « Pour le moment, le service n’est disponible que le matin, et il est victime de son succès, il y donc des files d’attentes… », note Pascaline Brillant.

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Autre souci : il n’est, en théorie, pas possible de recruter des interprètes français pour venir exercer chez nous. La langue des signes n’est en effet pas universelle et de très nombreuses différences existent entre elles. Ceux formés à l’étranger doivent donc s’adapter avant de pouvoir travailler chez nous.

La formation belge, de son côté, n’en est encore qu’à ses débuts (voir ci-dessous). Les premiers professionnels francophones ne seront diplômés qu’en juin 2019. En attendant, les sourds devront continuer à se débrouiller par eux-mêmes, comme ils l’ont toujours fait jusqu’à présent.

Une vingtaine d’inscrits à la nouvelle formation

Depuis la rentrée 2015, la formation d’interprète en langue des signes est devenue universitaire. Organisée par l’Université Saint-Louis pour le bachelier et l’UCL pour le master, elle accueille 12 étudiants en deuxième année et 10 en première. Aucun élève n’a donc encore été diplômé. « Pour le moment, ceux qui font le travail d’interprète sont liés au monde de la surdité, mais ils n’ont, pour la plupart, pas reçu de formation particulière. Maintenant, ils peuvent bénéficier du même cursus que n’importe quel autre interprète », précise Anne-Sophie Lizin, coordinatrice de la cellule traduction-interpretation en langue des signes.

Elle ajoute : « Pour s’inscrire, il n’est pas nécessaire de connaître la langue des signes. Nous commençons à zéro. Autre point positif : compte tenu de la pénurie en Fédération Wallonie-Bruxelles, nos diplômés sont certains de trouver un travail directement à la fin de leurs études. » Un bel avantage quand on connaît la difficulté que peuvent avoir les jeunes diplômés à rentrer sur le marché de l’emploi.

DH.be – Langue des signes : grosse pénurie d’interprètes 

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© Stéphan – ( i ) LSF

Signes extérieurs – le Costa Rica et la 1ère interprète officielle du Président Costaricain.

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Deuxième escale : Le Costa Rica à la rencontre de Estefanía Carvajal, 1ère interprète officielle du Président Costaricain.

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C’est paradoxal : bien qu’elle traduise les déclarations du Président du Costa Rica, peu de télespectateurs connaissent sa voix. En effet, Estefanía Carvajal, 28 ans, est la premiere interprète officielle, en langue des signes pour la Casa Presidencial.

Chaque semaine, les Costaricains peuvent voir Estefanía Carvajal qui interprète en direct la conférence  de presse du Président Luis Guillermo Solis, signant les questions et les réponses.

Dans ce pays plusieurs lois lois exigent la présence d’interprètes en langue des signes à la télévision notamment lors des grands événements publics. L’administration Solís a été la première à se conformer à cette règle en mai 2014.

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En tant qu’interprète en langue des signes costaricienne, connue sous le nom LESCO, Estefanía Carvajal est naturellement une défenseur de la communauté sourde et elle espère que sa place à coté du Président pourra aider la population sourde à mieux s’intégrer dans la société en ayant une meilleure connaissance des informations et notamment des droits de l’homme.

« Mon métier d’interprète en langue des signes auprès du Président est une expérience incroyablement précieuse » a-t-elle déclaré au  journal Le Tico Times. « Cela me permet d’atteindre beaucoup plus de personnes sourdes. »

Elevée par ses parents sourds, Ronald Carvajal et Odilie Poveda, Estefanía Carvajal est une locutrice native de la LESCO en dépit du fait qu’elle ne soit pas sourde. Elle parle espagnol et anglais, et connait aussi la langue des signes américaine (ASL), brésilienne ainsi que les signes internationaux (SI).

« Je me sens plus à l’aise de raconter une histoire en LESCO qu’en espagnol oral » dit-elle. « J’aime plus cette langue. Je sens que je peux entrer dans plus de détails, je me sens plus à l’aise avec elle ». « Certes je parle espagnol toute la journée. Mais chez moi, avec ma famille, mes amis, je signe. »

Dans sa jeunesse et comme de nombreux enfants entendant de parents sourds connaissant l’espagnol et la LESCO, Estefanía Carvajal, a dû interpréter les rendez-vous de ses parents : visites chez le médecin, rendez-vous à la banque…
Sa première apparition à la télévision (du fait de l’absence d’interprètes professionnels à cette époque) fut en 1998, quand elle a interprété en LESCO le concours Miss Costa Rica Sorda (Miss Sourde Costa Rica) à l’âge de 12 ans.

Il faudra attendre les années 1990 pour que l’Université du Costa Rica et d’autres institutions proposent des certifications d’interprètes Espagnol-LESCO.

A présent diplômée et officiellement engagée par la Casa Presidencial, Estefanía Carvajal commence son travail à 8 heures sauf si l’actualité exige une prise de parole urgente.

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Bien qu’elle travaille au centre du pouvoir, elle ne reçoit aucune information sur les thèmes qui seront abordés ou la tonalité des discours. Elle doit donc par elle-même trouver des informations, préparer ses interventions… Puis, une fois son travail fini, elle oublie tout : « tout ce que je signe entre par une oreille et ressort par mes doigts. »

« Il y a des mots qui existent dans la LESCO qui n’existent pas en espagnol et vice versa, donc je dois donc beaucoup travailler en amont pour rendre les prises de paroles conviviales et compréhensibles » explique-t-elle.
« Le grand avantage de la langue des signes est qu’elle est très rapide et efficace. Vous pouvez dire/signer beaucoup d’informations en peu de temps. La langue orale est linéaire, de sorte qu’il faut plus de temps pour dire quelque chose, décrire une action ; je profite de ce temps gagné pour rendre mon interprétation en LESCO plus lisible ».

Par ailleurs, en plus de travailler comme interprète en LESCO, Estefanía Carvajal intervient également auprès de la vice-présidente Ana Helena Chacón comme défenseur des personnes invalides.

Sa présence au côté du Président n’est bien sur pas passée inaperçue au sein de la communauté sourde. Victor Hugo, président de l’Association Nationale des Sourds du Costa Rica (ANASOR) reconnait que la décision de l’administration d’avoir un interprète auprès du Président costaricain est une étape positive mais qu’il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, il regrette que la communauté sourde ait qu’un accès limité aux émissions de divertissement  et à l’information. De plus, lors des discours du Président de la République, le cadrage sur l’interprète n’est pas parfait et parfois elle disparait de l’écran.

Cependant, comme le dit une femme sourde : « voir une interprète en langue des signes à coté du Président est un symbole fort. Grâce à Estefanía Carvajal il y a toujours une personne qui rappelle aux gens que nous existons. »

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The Tico Times News : Costa Rica’s first official sign language interpreter has long history of bridging the communication gap  

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[Comme la récente actualité française nous l’a montré, une fois encore la France est à la traine en matière d’accessibilité pour les sourds et cet article est aussi là pour nous le rappeler. La traditionnelle interview de François Hollande le 14 juillet ne fut pas interprétée en LSF tout comme les nombreuses déclarations des officiels suite à l’attentat de Nice]

© Stéphan – ( i ) LSF

 

Signes extérieurs – le Sultanat d’Oman et ses 6 interprètes

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Première escale : le Sultanat d’Oman avec seulement 6 interprètes en langue des signes pour 15000 sourds.

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Oman, monarchie indépendante située au sud de la péninsule d’Arabie a le deuxième plus grand nombre de sourds et malentendants dans la région après l’Arabie Saoudite mais seulement six interprètes en langue des signes d’après une étude menée par l’Association des personnes sourdes et malentendantes d’Oman (OAHI).

« En Arabie Saoudite on dénombre 88000 personnes sourdes ou malentendantes et au moins 15000 à Oman d’autant que notre étude n’a pas atteint des villages et tribus éloignés » rapporte Yaya Al Barashdi, membre de l’OAHI.

Afin de développer l’usage de la langue des signes et permettre aux sourd de mieux s’intégrer à la société, l’OAHI a créé en 2013, un 1er centre pour l’apprentissage de la langue des signes.

« Cet institut de formation permettra à tous, sourds et entendants, de se former à la langue des signes, y compris les employés de banque, les enseignants, les employés de plusieurs ministères et bien sur ceux qui voudraient devenir interprète en langue des signes » explique Hassan Ali, interprète en langue des signes et coordinateur du projet. « Il est indispensable que nous développions la formation d’interprètes en langue des signes car aujourd’hui nous n’avons que 6 professionnels certifiés ce qui ne suffit pas pour couvrir tous les besoins de la population sourde. »

« Il devrait être obligatoire de nommer au moins un interprète en langue des signes dans toutes les administrations et en particulier celles qui sont en contact avec le public »,  selon Al Amri, sourds et membre de l’OAHI.

Bonne élève, la Police Royal d’Oman (ROP) a choisi d’être le 1er service public dans le Sultanat à déployer des interprètes en langue des signes dans toutes ses unités.
Pour cela la ROP a proposé aux membres de son personnel de suivre la formation pour devenir interprètes en langue des signes ; ces agents seront ensuite placés dans les différents postes de police à travers le pays. « Notre objectif initial est de fournir au moins un agent formé dans chaque zone ou wilayats » déclare Al Badai reponsable du programme de formation pour les policiers.

« Il est temps pour les autres ministères de suivre les traces de la ROP » affirme Ahmad Al Amri. Il espère notamment qu’une telle décision facilitera l’embauche des personnes sourdes.

« Il est très difficile pour les sourds de trouver un emploi car les entendants ne pratiquent pas la langue des signes. Former des interprètes est donc indispensable » remarque Hassan Ali.
Pareil dans les écoles où « trop d’enfants sourds sont déscolarisés car ils ne peuvent pas suivre les cours. »

« En raison du manque d’interprètes nous nous sentons coupés du reste de la population » conclut  Al Barashdi de OAHI.

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Times of Oman – Oman has just six interpreters to help 15,000 hearing impaired 

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© Stéphan – ( i ) LSF

Je voudrais devenir… interprète en langue des signes

Je dois l’admettre, j’ai un peu délaissé mon blog ces dernières semaines, accaparé par mon boulot, la participation au Conseil d’administration de l’AFILS et tant d’autres raisons.

Heureusement, des collègues travaillent pour moi et me simplifient la tâche d’alimenter régulièrement en billets originaux et intéressants Des Signes et des Mots.

C’est le cas de Lieve, interprète en langue des signes non pas française mais flamande.
Dans le cadre de sa série « Je voudrais devenir… » Arte lui a consacré un reportage de 10mn que voici : 

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Amusant de relever les points communs avec les interprètes en langue des signes qui travaillent en France : le temps passer dans les transports, comment les nouveaux signes apparaissent, l’importance du secret professionnel…

Quelques différences aussi : nous ne traduirions jamais un journal télévisé de 45mn tout seul. Nous serions deux ou trois interprètes travaillant en relais.
Et je n’ai jamais vu un collègue portant ainsi ses bretelles.

Ce qui est universel dans ce métier comme le souligne Lieve à la fin, c’est la joie que nous avons à rencontrer chaque jour de nouvelles personnes, à apprendre tant de choses intéressante et notre sale habitude à toujours parler avec les mains !

Coïncidence : quelques jours avant la diffusion de ce reportage, j’ai eu la chance de travailler avec Lieve lors d’une conférence où étaient présents des sourds français et des sourds belges-flamands.
Elle est comme dans ce reportage : souriante, inépuisable, sympa et terriblement efficace.

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© Stéphan – ( i ) LSF

Les 1ers interprètes certifiés en Signes Internationaux

Auparavant on la nommait Langue des Signes Internationale (LSI).
Mais comme elle ne s’inscrit pas sur un territoire ou dans une culture, qu’elle n’est pas propre à une communauté de personnes sourdes et surtout pour éviter toute confusion et bien faire comprendre que la langue des signes n’est pas internationale on parle à présent de Signes Internationaux (SI).
Utilisés par les sourds du monde entier, ces SI sont distincts lexicalement de toutes les langues des signes spécifiques, car ils intègrent des éléments provenant d’une variété de différentes langues des signes.

On pourrait donc comparer ces Signes Internationaux à la Lingua Franca , une sorte de pidgin qui reprend des signes des langues des signes nationales (essentiellement américaine, française et italienne) avec une structure et une grammaire classique à ces langues (emplacements, classificateurs, prise de rôle, iconicité…).

Ces Signes Internationaux sont utilisés principalement lors de conférences internationales (où il serait difficile d’aligner sur scène des interprètes dans toutes les langues des signes requises), aux rassemblements tels que les  Jeux Olympiques des Sourds (Deaflympics) ou pour communiquer pendant les voyages dans un pays étranger.

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Après ce rapide exposé sur les Signes Internationaux, venons-en à notre sujet : quid de l’interprétation d’une langue orale vers les SI ou d’une langue des signes « nationale » vers les Signes Internationaux (et réciproquement) ?

Jusqu’à présent, c’était des interprètes – en langue des signes – maitrisant en deuxième ou troisième langue des signes les SI qui assuraient cette fonction. Ils possédaient donc une bonne connaissance des pratiques professionelles et déontologiques se rapportant à notre métier mais ils n’avaient jamais été évalués sur leurs compétences linguistiques en Signes Internationaux et sur leurs connaissances des institutions dans lesquelles ils seraient appelés à travailler.
L’absence d’un cadre professionnel normé était d’autant plus regrettable que cette spécialisation est notamment ouverte aux « Deaf Interpreters » – interprètes sourds (hé oui ça existe !) – qui traduisent de et vers différentes langues des signes grâce à des interprètes-pivot (mais c’est une autre histoire, nous y reviendrons dans un autre billet).

Cette absence de normes ou critères vient d’être comblée.
En effet, la Fédération Mondiale des Sourds (WFD) en partenariat avec l’Association Mondiale des Interprètes en Langue des Signes (WASLI) a récemment créé une certification pour les interprètes en Signes Internationaux. Une première promotion a vu le jour le mois dernier : vingt interprètes professionnels ont obtenu le statut officiel de « WFD-WASLI Accredited IS Interpreter » après avoir été évalués par 6 experts selon des critères pré-définis par les deux associations.

Comme il est indiqué dans le communiqué annonçant les noms des premiers lauréats, cette nouvelle certification vise à établir, maintenir et promouvoir des normes de qualité d’interprétation de et vers les SI.
Le document reprenant les objectifs de cette certification, les critères exigés, etc, est en ligne à cette adresse : « WFD-WASLI International Sign Interpreter Récognition Interim Policy and Guidelines« .

Cette accréditation (ou certificat) valide le professionnalisme, les compétences et connaissances de ces interprètes. Clause interessante, ce certificat ne sera valable que 5 ans pour encourager les interprètes à prolonger leur formation, à s’auto-évaluer, à prendre en compte les feed-backs des usagers sourds, à se corriger…

Ces interprètes auront pour mission de traduire les discours et autres débats dans les forums internationaux où l’usage des Signes Internationaux est habituel : Deaflympics, conférences des Nations Unies et notamment les sessions du Comité de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) à New York et à Genève, Congrès international sur l’éducation des Sourds (ICED), réunions de l’Union européenne des sourds (EUD), sessions du Parlement européen…

Ainsi les représentants sourds dans ces différentes instances internationales auront la certitude d’avoir en face d’eux des interprètes qualifiés et compétents. L’établissement d’un annuaire facilitera aussi leur recrutement pour telle ou telle manifestation internationale a souligné Colin Allen, le Président de la WFD.
« Ce processus est un exemple exceptionnel d’un travail conjoint entre la WFD et WASLI. Il a permis de mettre en avant l’ensemble des compétences nécessaires pour obtenir cette certification en Signes Internationaux. Cela donne aussi un cadre, un modèle pour ceux qui aspirent à devenir interprète dans cette spécialité » a rappelé Debra Russell, présidente de WASLI.

Vous pouvez consulter la liste des vingt premiers interprètes en SI certifiés ici : WFD-WASLI Accredited IS Interpreter. Un nouvel appel à candidature aura lieu début 2016.  

Vous noterez qu’aucun français ne fait partie de cette première vague et c’est bien dommage. En revanche, logiquement les interprètes des pays anglo-saxons et du nord de l’Europe sont sur-représentés, la langue orale associée aux SI étant l’anglais.
Espérons cependant que cela nous motivera (moi par exemple) pour plonger dans ces Signes Internationaux d’autant que la France sera prochainement l’hôte de manifestions internationales où les SI seront largement présents : Forum Européen des Interprètes en Langue des Signes (EFSLI) en septembre 2017, Assemblée générale de l’Association Mondiale des Interprètes en Langue des Signes (WASLI) suivi du Congrès Mondial des Sourds à Paris en juillet 2019.

Pour conclure et vous permettre de vous entrainer, une vidéo en Signes Internationaux de Colin Allen, Président de la WFD faisant un bilan pour son association de l’année 2015 et présentant les perspectives pour 2016 (sur le site de Vimeo vous avez en plus la traduction de son discours en anglais écrit).

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© Stéphan – ( i ) LSF 

Le défi quotidien de la neutralité

L’un des trois piliers du code déontologique des interprètes (en langue des signes ou en langue vocale) est la neutralité – en plus du secret professionnel et de la fidélité.

Selon le code éthique de l’AFILS, « L’interprète ne peut intervenir dans les échanges et ne peut être pris à partie dans la discussion. Ses opinions ne doivent pas transparaître dans son interprétation ». La neutralité est un principe fondamental dans l’exercice du métier d’interprète. Les interlocuteurs sont seuls responsables de leur propos. L’interprète n’intervient pas pour corriger, changer, juger expliquer ou conseiller les usagers, sourds ou entendants comme s’ils étaient des enfants irresponsables.
Voici pour la théorie.

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Mais en pratique ?
Sur le terrain il est parfois difficile de ne pas être tenté d’aider ou de conseiller telle ou telle personne dont on imagine que ses réponses la déservent. Ces dernières semaines, avec l’afflux des réfugiés, les interprètes de toutes langues ont été largement sollicités. Comment face à une telle détresse ne pas être tenté de proposer une solution à leur place, d’orienter vers une réponse qui nous semble plus juste, de traduire sans intervenir ?
C’est sous cet angle (la difficile mais nécessaire neutralité de l’interprète) que le journal Le Monde a récemment publié un reportage très juste intitulé « Pour les interprètes à l’Ofpra, le défi quotidien de la neutralité ».
La journaliste, Clara Wright, a suivi des interprètes dans la salle d’audience de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne).

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En voici de larges extraits :

L’entretien dont dépend la vie d’Ahmet est une partie à trois, avec l’interprète au centre. « Je me place toujours à égale distance de l’OP et du requérant », explique Jean Hascout, sa chaise située au bout du bureau où Ahmet et Julie se font face. Une astuce acquise au bout de cinq ans d’expérience à l’Ofpra pour signifier aux deux autres sa neutralité, explique Jean qui « préfère rester dans [ses] bottes d’interprète » : ni collègue enquêteur de l’officier de protection, ni avocat du demandeur.

Mais cette rigueur déontologique constitue un combat intérieur pour les traducteurs, régulièrement sollicités par les deux parties. « Il y avait cette dame qui se disait guinéenne, se souvient Mamadou Ba, interprète dans six langues d’Afrique de l’Ouest depuis quinze ans à l’Ofpra. Son dossier indiquait qu’elle parlait le malinké, mais lors de l’entretien, elle s’exprimait mieux en bambara, la langue du Mali. » Alors Mamadou poursuit en bambara, l’air de rien. « A la fin, l’OP m’a confié avoir des doutes sur son origine. Je lui ai dit que, depuis le début, la femme ne parlait qu’en bambara. Il s’est offusqué, m’a dit que j’aurais dû lui dire plus tôt… Ce n’est pas mon rôle ! »

Le rôle de ces interprètes, c’est plutôt de tout faire « pour que deux personnes qui ne parlent pas la même langue se comprennent ». Et de répéter, inlassablement. « Ce n’est pas facile parfois, lorsque le requérant a parfaitement compris mais fait mine du contraire », témoigne Charles- Guillaume Demaret, qui traduit le macédonien depuis quinze mois à l’Ofpra. « C’est arrivé qu’un OP me demande : “Vous en pensez quoi ?” J’ai rien répondu. Ce n’est pas à moi de lui dire que le demandeur a compris et qu’il ne veut pas répondre. »

Dans le box d’entretien, Ahmet, lui, désire répondre mais bute sur les mots. Il était entré le sourire aux lèvres, mais depuis que l’officier a évoqué les conditions de son arrivée en France, une douleur l’agite. Il croise, décroise ses jambes. Parle avec les mains, rougit, serre la mâchoire. « Ça va, monsieur ? » s’inquiète Julie. Jean Hascout se tourne vers Ahmet, reprend d’une voix plus douce. Sa manière de lui tendre la main.

Mais le désarroi des requérants pèse sur les interprètes. « Il y en a qui disent « Aide-moi », qui veulent qu’on leur souffle les noms des présidents », témoigne Leena, une quarantenaire qui travaille pour l’Ofpra en portugais. « C’est peut-être parce que je suis vieux mais certains m’appellent papa, me tendent les papiers administratifs plutôt qu’à l’OP », raconte Juan, traducteur depuis plus de trente ans. Mais Juan s’efforce de garder une distance, même s’il comprend – il a lui-même été exilé.

Souvent, les interprètes se reconnaissent dans les récits de vie qu’ils transmettent. « Les gens qui quittent mon pays, c’est un peu mon histoire », livre Souham Ghenim, sexagénaire qui a fui la guerre civile d’Algérie, aujourd’hui interprète en arabe.

« Une fois, une femme ne comprenait pas le mot « ethnie », se souvient Leena. Alors j’ai commencé à citer les ethnies de son pays, mais l’OP m’a sévèrement remise à ma place. » Pourtant, du fait de l’absence de certains mots dans une langue ou du niveau d’éducation des requérants, les interprètes « passent leur temps à expliquer les concepts » (comme celui d’hymne national), explique M. Ba.

Les interprètes ignorent la décision de l’officier. « Pour continuer à vivre », confie Jean Hascout, il faut vite s’affranchir. Dès la fin de l’audition, lui fume une cigarette « pour éviter de croiser le requérant dans les transports en commun ». Mais il lui est déjà arrivé de retrouver une demandeuse d’asile sur le quai du métro. « Qui suis-je alors : le moulin à paroles sans sentiment ou le citoyen ? Bien sûr, elle m’a demandé mon ressenti. Mais dans nos langues, on sait tous dire : Je ne suis qu’un pauvre interprète. »

Se souviendra-t-il d’Ahmet ? « Après l’entretien, j’ai dû vaquer à des préoccupations personnelles immédiates », répond Jean Hascout, comme soulagé. Le lendemain, il sera de retour à l’Ofpra, entre l’officier de protection et le futur visage qu’il s’efforcera d’oublier. C’est ce qu’il appelle son « pacte avec le diable ».

© Clara Wright in Le Monde

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© Stéphan – ( i ) LSF

Des interprètes afghans abandonnés à leur sort par la France

Oublions quelques instants l’interprétation en langue des signes pour évoquer le cas de nos collègues afghans aujourd’hui en danger de mort.

Si la France a quitté l’Afghanistan en décembre 2014, de nombreux interprètes ayant travaillé avec l’armée sont restés sur place. Au total plus de 160 interprètes sont menacés de mort par les Talibans et attendent toujours leur visa pour gagner la France.
Notre attitude à l’égard de ces anciens interprètes est non seulement une honte, mais aussi un manquement aux principes d’accueil, d’humanité, de solidarité. S’ils sont à présent en danger, c’est parce qu’ils ont accepté d’aider les forces militaires occupant leur pays pour lutter contre les islamistes et la barbarie. Par leur présence, leur connaissance du terrain, leurs compétences linguistiques et culturelles, ils ont certainement sauvé de nombreuses vies de soldats occidentaux.
Aujourd’hui, c’est pour la leur qu’ils se battent. Quand les pays de la coalition se sont retirés d’Afghanistan aucun ne s’est préoccupé des conséquences dramatiques pour ceux qui nous ont fait confiance. Tous les ont abandonnés.

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En France, face à cette situation, 35 avocats travaillent pour faire bouger les choses et permettre à ces anciens interprètes de l’armée de vivre leur vie loin des menaces.
En avril 2015 ils ont adressé une lettre ouverte au Président de la République François Hollande.
Puis ils ont mis en ligne une pétition intitulée : « Soutenez la défense des auxiliaires afghans qui ont servi l’armée française en Afghanistan entre 2001 et 2014 » que je vous encourage à signer.
Par ailleurs, Caroline Décrois, une avocate parisienne à la tête de ce collectif  s’est exprimée dans de nombreux médias français pour nous alerter :

« Aujourd’hui, 90% des interprètes se sont regroupés à Kaboul qui reste la zone la plus sûre en Afghanistan, malgré des attentats. Ils sortent très peu de chez eux et sont clairement menacés. Ils reçoivent des lettres de menaces, glissées sous leurs portes ou placardées, provenant des Talibans ou d’un groupe de Talibans affilié à l’Etat islamique (Daech).
On les menace de mort, mais également de les torturer pour obtenir des informations, des renseignements ou leur savoir-faire acquis auprès de l’armée française. Ceux qui pouvaient ont pris la fuite, les autres vivent cloîtrés, déménageant toutes les semaines.
Si je n’ai pas connaissance d’interprètes des Français exécutés, certains qui ont travaillé avec les Américains ont été tués. En général, quand on travaille avec l’armée, on espère une protection quand les troupes s’en vont. La promesse d’un visa, ce n’était pas dans leur contrat, mais la France ne pensait pas non plus laisser l’Afghanistan dans cette situation catastrophique. Les critères posés pour sélectionner les dossiers ont été dévoyés.
Avant leur sécurité, on a fait passer leur possibilité d’intégration. On s’est plus demandé comment matériellement intégrer ces gens plutôt que de se demander s’ils étaient menacés. Pourtant, la relocalisation, c’est de la protection de personnes menacée, toute autre question n’a pas lieu d’être. » 

Voici le portrait d’un interprète afghan « oublié » par la France (source Le Monde) :

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Adil Abdulraziq, 29 ans. Il a été interprète pour l’armée française entre 2001 et janvier 2014. Marié, il a deux enfants. Ingénieur de construction de formation, il est au chômage aujourd’hui et cherche à partir en France. Sa demande de visa a été rejetée. Il est le porte-parole de cinquante autres interprètes, qui affirment être menacés dans leur pays.
Pendant treize ans, Adil Abdulraziq était chargé de mettre en place des barrages sur les routes, d’entrer dans les maisons des villageois, de leur demander de sortir avant que les forces françaises procèdent à des fouilles. « Les Français ne connaissent pas la culture afghane. C’était donc à l’interprète afghan d’entrer et d’avertir les occupants, surtout les femmes », explique l’Afghan de 29 ans.
Les villageois l’ont à de multiples reprises photographié et filmé, en tenue militaire, fusil à la main et le visage découvert. Cela lui vaut de nombreuses menaces. « En 2011, j’ai trouvé une lettre collée à ma porte. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un appel téléphonique. La voix me disait que j’étais un infidèle, un espion et un traître et que je serai décapité », se souvient l’interprète. Quelques mois plus tard, une explosion a détruit le mur de sa maison.
La police afghane a confirmé qu’il avait été ciblé en raison de son engagement auprès des Français. La demande de visa d’Adil Abdulraziq date de mi-2013. Un mois après le dépôt de sa demande, on lui a signifié que la procédure de visas pour les interprètes était close.
Depuis, il sort rarement de chez lui et vit dans l’angoisse permanente. Il a essayé de trouver du travail dans différents domaines. Sans succès. « Les employeurs pensent que, s’ils nous engagent, ils seront en danger eux aussi », explique Adil Abdulraziq.

Il y a aussi Abdul qui témoigne dans le Nouvel Obs : ancien traducteur de l’armée française, victime d’intimidation de la part des Talibans il a demandé en vain un visa de réfugié pour la France. A Kaboul, il tremble pour sa sécurité.

D’autres Afghans estiment qu’ils ne peuvent plus attendre, que leur vie devient trop dangereuse dans leur pays. C’est le cas de Naqibullah, arrivé clandestinement en France. Ce médecin de formation vit maintenant comme un sans-abri à Lyon… Il ne sait toujours pas si son cas va pouvoir être examiné dans le même cadre que celui de ses collègues interprètes restés en Afghanistan.

De leur côté, les autorités françaises prennent en compte 3 critères pour valider leur accueil : la qualité des services rendus, la capacité à s’insérer en France et surtout l’exposition à une menace réelle de l’interprète et de sa famille. Pour Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, « la France a des devoirs envers ses personnels ; elle ne s’y dérobera pas. Si le fait d’avoir travaillé avec la France ne peut ouvrir un droit absolu à s’y installer, la réalité du risque encouru doit évidemment être prise en compte. » 
Un porte-parole du Quai d’Orsay ajoute : « on doit traiter au cas par cas. C’est complexe, un travail interministériel. Il faut vérifier la situation de chacun, la réalité du danger. Il n’y a pas d’accueil automatique. »

Il semble que les Talibans procèdent, eux, de façon plus expéditive. Ainsi que le révèle le Daily Mail, la semaine dernière un interprète ayant travaillé pour l’armée britannique et connu sous le nom de Popal a été torturé puis assassiné tandis qu’il tentait de fuir les Talibans, sa demande de visa ayant été rejetée par les autorités britanniques. On reste sans nouvelle de ses quatre collègues qui l’accompagnaient.

Aux Etats-Unis, la mobilisation pour tenter de sauver les interprètes locaux ayant travaillé en Irak ou en Afghanistan est menée par Katharine Allen & Barry S Olsen qui ont lancé un appel pour récolter des fonds – via leur blog – afin de financer un film intitulé « The Interpreter »,  l’histoire banale de Farouq, un interprète abandonné par les forces militaires américaines lors de leur retrait et en danger de mort.
Comme des centaines d’autres restés sur le terrain.

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© Stéphan – ( i ) LSF