Pour ces élections législatives, de nombreux candidats ont décidé de réaliser de courtes vidéos afin de se présenter, d’expliquer en détail leur programme…
Et certains d’entre eux, « pour que nos amis sourds et malentendants en situation de handicap » (selon la terminologie habituelle) puissent accéder au contenu, ont eu l’idée de les faire traduire en langue des signes française, espérant ainsi recueillir des voix supplémentaires.
C’est le cas de Christiane Brunet, candidate divers droite pour la 4ème circonscription de Savoie qui nous a offert un clip étonnant où l’on voit un jeune homme essayant maladroitement d’endosser le rôle d’interprète en langue des signes et massacrant allègrement le discours de la candidate.
Aussi, je vous propose non pas de se moquer de sa prestation (quoique je dois admettre avoir beaucoup ri en la voyant la première fois) mais de jouer au jeu des 7 erreurs.
* Dans cette vidéo, sauras-tu trouver les 7 erreurs qui te permettront d’affirmer que cette personne n’est pas un interprète en langue des signes ?
Si tu es entendant et que tu éprouves quelques difficultés à toutes les repérer, voici mon conseil : coupe le son.
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Erreur 1 : Charabia
Même en faisant des pauses, des retours en arrière, des gros plans… le constat est sans appel : ce garçon est incompréhensible. Il connaît 3 signes (montrer, je, idée) un peu de dactylologie et il tente péniblement (surtout pour nous) de traduire en lsf le discours de la candidate.
S’il le faisait avec des moufles et une cagoule, le résultat serait identique : on ne comprend rien.
Je vous traduis les signes que j’ai aperçus (devinés) durant la première séquence : « maintenant je suis conseiller rare pas possible papier d’Albigny (avec le Y qu’il signe à la limite du cadre) je montre 4ème pourtour Savoie ».
Bien sur il n’a ni le temps, ni les moyens de tout traduire donc il sélectionne et on dit adieu à la fidélité.
Bonus « éclat de rire » : à 1:30 il traduit « dynamique » en faisant le gorille.
Erreur 2 : Le pull marin
On peut comprendre que ce jeune homme voue une passion à Jean-Paul Gautier ou qu’il adore son nouveau pull acheté chez Saint-James et qu’il a souhaité nous le montrer mais il faut le prévenir qu’hélas par respect pour les sourds, les interprètes en langue des signes évitent de porter des vêtements colorés avec des motifs criards ou des rayures. En effet les couleurs contrastées, les rayures fatiguent les yeux des spectateurs et peuvent gêner à la bonne compréhension du discours.
C’est pourquoi nous sommes habituellement vêtus de couleurs sombres et unies (j’ai dans mon placard une dizaine de chemises ou tee-shirts à manches longues noirs, bleu marine, gris foncés, bordeaux, vert bouteille…) et on garde ses chemises hawaïennes, ses tuniques aux imprimés flashy et ses pulls marins moulants pour les virées nocturnes.
Erreur 3 : Où est-il passé ?
Et tandis que Madame Brunet énumère patiemment les noms des cantons et autres charmants villages savoyards de sa circonscription, hop ! il disparait de l’écran ! J’ai beau le chercher dans ce paysage bucolique, soulever chaque motte de terre, impossible de le trouver. Peut-être est-ce un jeune homme taquin qui veut simplement jouer à cache-cache avec nous ? Ou bien a-t-il eu peur de devoir dactylologier la longue liste de noms propres ?
Quoi qu’il en soit, pour la personne sourde, il ne se passe plus rien elle doit se contenter d’admirer les pâturages alpestres sans savoir qu’en réalité le discours continue.
Erreur 4 : Qui parle ?
Il avait disparu (on s’inquiétait) et le voilà qui revient faisant des signes en plein écran.
Mais comme on ne voit pas Christiane Brunet on ne sait pas si c’est elle qui parle (pour les lecteurs distraits, je rappelle que les sourds n’entendent pas les voix) ou un autre intervenant, son mari, un voisin, un futur électeur. A moins que le jeune homme ait décidé de déclarer sa flamme à la candidate et il nous propose donc un petit commentaire personnel.
Erreur 5 : L’interprète furet
En visionnant cette vidéo je pensais à la chanson du furet « il est passé par ici, il repassera par là ».
Il est là, il n’est plus là, il est en haut à droite puis en bas à gauche puis à droite, il remonte à gauche, bref on ne sait jamais où il va surgir, il est épuisant à suivre.
Alors qu’il est si simple pour le réalisateur de nous laisser dans notre petit et confortable coin en bas à droite et de ne plus s’occuper de nous !
Erreur 6 : Après l’effort, le réconfort
« Ouf ! C’est difficile de traduire ! » semble-t-il nous dire.
Sans doute ravi par sa prestation, mais un peu fatigué il s’accorde une pause. C’est l’instant « repos du guerrier » et relax, il met la main sur sa hanche et sourit fièrement (c’est ici que je devrais sortir mon laïus sur la nécessaire neutralité de l’interprète mais à quoi bon… ).
La prochaine fois il faudra lui prévoir une assistante qui viendra le féliciter et lui éponger le front.
Erreur 7 : Vivement les vacances
Cela fait déjà 2mn30 qu’il agite ses mains vainement. Mais jouer à faire l’interprète en langue des signes c’est exténuant il faut sans cesse remuer des bras, écouter et essayer de comprendre ce que raconte la candidate…
Heureusement c’est un garçon courageux et tenace alors, il remonte ses manches (ça lui donne un air cool en plus) et il se motive pour continuer !
Dommage que la vidéo ne dure pas 5mn il aurait fini en tee-shirt voire torse nu.
Peut-être à cet instant a-t-il enfin compris qu’être interprète français/LSF n’est pas un loisir, un passe-temps qu’on peut faire sans aucune compétence ou connaissance approfondie de la langue des signes mais un vrai métier qui demande de longues années d’études, d’apprentissages et que, promis-juré, on ne l’y reprendrait plus !!!
Trouverez-vous une 8ème erreur ?
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PS : alertée par l’une de mes collègues, Christiane Brunet a retiré la vidéo incriminée de son site mais pas de sa page Dailymotion.
Voici un extrait de son courrier d’excuses : « ce clip avait seulement pour but d’aller dans le sens d’une meilleure communication auprès des personnes malentendantes et n’avait aucune vocation à offenser qui que ce soit. Je vous prie donc de m’excuser pour le non professionnalisme de la traduction. Il se trouve que dans ma famille j’ai un beau frère et une belle soeur qui sont sourds, résidant à Poitiers. Leur fils a bien voulu participer à mes côtés à l’élaboration de ce clip et a mis beaucoup de bonne volonté pour réaliser cette traduction, vous me voyez désolée du résultat. »
On peut saluer ses excuses rapides et regretter d’entendre les arguments habituels (qui avaient déjà été utilisés par Marianne Dubois massacrant le discours de Roselyne Bachelot et par tant d’autres) : pas rendu compte, bonne volonté, mieux que rien…
Vous n’êtes pas tendre et n’y allez pas avec le dos de la cuillère* mais j’imagine que c’était nécessaire. Pourquoi n’a-t’elle tout simplement pas écrit et fait passer une bande défilante en bas d’écran?
*: je dois avouer avoir rigoler ici et là
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Bonjour,
Je voulais surtout montrer qu’être interprète en LSF est un métier qui s’apprend en suivant 5 années d’études après le bac (Master 2).
On a trop souvent tendance à croire qu’il suffit de connaitre 3 ou 4 signes pour devenir interprète. Pourrait-on imaginer qu’une personne simplement parce qu’elle aurait passé un mois de vacances au Royaume-Uni pourrait être un interprète français/anglais ?
Quant à votre solution oui bien sur il faudrait des sous-titres mais plus simplement il aurait suffit de faire appel à un interprète diplômé. J’en connais plusieurs en Savoie, ils sont tous très compétents.
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C’est peut être aussi une (bête) histoire de coût. Cette personne ayant fait appel à un cousin, en plus de la pauvreté de son discours, montre assez qu’elle a voulu faire cette économie. Pas très malin d’ailleurs (a-t’elle les compétences pour devenir ce à quoi elle prétend est une autre histoire mais je suis tenté de dire que non).
Vous évaluez à combien une prestation telle que demandée dans le cas présent?
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Entre 200 et 300€ TTC car en plus du coût de la prestation elle-même, il faut ajouter « un droit à l’image ».
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Alors on peut dire qu’elle a carrément joué petit bras. La conclusion en plus est qu’elle ne mérite pas le poste auquel elle prétend; on ne fait pas une telle erreur quand on prétend à une députation.
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Bravo cher collègue, pour la justesse de ton analyse et la clarté de tes propos, je n’ai que ça à dire… Ah si j’oubliais, merci !
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J’adore l’idée d’analyser une situation à partir des erreurs commises, c’est comme ça qu’on progresse plus vite… Encore merci !
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Bonjour, je suis moi-même interprète. La traduction ci-dessus n’est pas professionnelle et il faut le dire. Par contre je ne suis pas tout a fait d’accord sur le fait que 5 ans d’études et hop on devient un interprète professionnelle. De plus « être diplômé » ne signifie pas « être compétent ». Le métier d’interprète s’apprend sur le terrain et nécessite de fréquenter la communauté sourde de près. Je ne dis pas cela pour entrer en polémique mais pour remettre les choses dans leur contexte.
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Bonjour Gonthier,
Oui et non : si après 5 années d’études on obtient son diplôme d’interprète F/LSF alors on est considéré comme un interprète professionnel. C’est d’ailleurs ce diplôme qui est la marque de notre professionnalisme et qui garantit si ce n’est une compétence parfaite dans les langues de travail au moins un comportement, une attitude professionnelle notamment par le respect du code éthique de l’Afils.
Après je suis d’accord « c’est en forgeant qu’on devient forgeron » et bien sur des années de pratique seront nécessaires pour développer au mieux ses compétences.
Néanmoins le diplôme (Master 2) est une 1ère étape indispensable et que malheureusement trop de pseudo-interprètes (je n’ose écrire interface) oublient.
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