Code éthique (2) : le secret professionnel

Après une présentation générale du Code éthique des interprètes en langue des signes française (LSF), arrêtons-nous sur l’article 1 du Titre premier sur le secret professionnel.

« L’interprète est tenu au secret professionnel total et absolu comme défini par les articles 226-13 et 226-14 du nouveau code pénal dans l’exercice de sa profession à l’occasion d’entretiens, de réunions ou de conférences non publiques. L’interprète s’interdit toute exploitation personnelle d’une quelconque information confidentielle ».

Cliquez sur l’image pour voir signer « secret professionnel » 

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L’article 226-13 du Code pénal auquel il est fait référence stipule : « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15000€ d’amende » (gloups!).

Il faut se rappeler qu’un interprète français/LSF est au contact de la vie privée des personnes sourdes, c’est la différence essentielle de notre profession avec celle des interprètes en langues vocales (anglais, russe, chinois…) qui interviennent essentiellement en milieu professionnel.
Nous traduisons les rendez-vous médicaux, les jugements lors d’un divorce, les interrogatoires au commissariat, la séance chez le psychiatre, l’entretien d’embauche ou de licenciement… Et au cours d’une même journée, on peut rencontrer la personne sourde dans différentes situations (particulièrement en province).
Un exemple (un peu exagéré) de ce qu’il ne faut pas faire : le matin vous traduisez un rendez-vous chez un proctologue et le soir, alors que vous traduisez un pot de départ dans une entreprise en présence du même sourd vous lui demandez à haute voix : « alors vos hémorroïdes, ça va mieux ? ».
Certes, je choisis un exemple caricatural mais il faut comprendre qu’il n’est déjà pas facile d’aborder certains sujets intimes en présence d’une tierce personne (l’interprète en l’occurrence). Alors comment imaginer avoir une communication libre et franche par le truchement d’un interprète si on n’est pas sûr que ce dernier n’ira pas répéter ailleurs la conversation ?

Pour une entreprise privée ou publique la problématique est la même : avoir la garantie que jamais l’interprète n’ira révéler à l’extérieur ce qu’il a pu voir ou entendre durant sa vacation. Par exemple, lors de réunions chez un constructeur automobile on parle de stratégies marketing, de lancement de nouveaux véhicules, de futurs prototypes. S’il craignait que nous en révélions le contenu, nous ne serions plus présents avec bien sur un risque d’isolement pour les personnes sourdes, ces dernières n’ayant plus accès à l’information.

Donc l’interprétation ne peut se faire que si les usagers (sourds et entendants) savent que le professionnel – qu’est l’interprète – gardera le secret sur tout ce qu’il traduit. J’ajoute que pour les réunions non publiques, le secret englobe non seulement les propos tenus mais aussi toutes autres informations. Par exemple on n’a pas à révéler la liste des personnes présentes ou quoi que ce soit d’autres (en fait pour faire plus simple, on ne doit même pas dire que la réunion a eu lieu).

C’est pourquoi quand je rédige des billets pour ce blog ou des messages sur Twitter, je reste vigilant afin qu’on ne puisse jamais identifier une personne ou une Société dans les exemples que je cite.

Bien sur, ce secret connaît des limites (c’est l’article 226-14 du Code pénal) lorsqu’on a connaissance de sévices, de privations, de menaces sérieuses sur une (ou des) personne, du projet d’un crime ou d’un délit (il ne s’agirait pas de se faire condamner pour non-assistance à personne en danger).
Enfin ce secret professionnel peut être partagé entre interprètes, lorsque pour des besoins de fonctionnement, un interprète doit fournir des informations confidentielles à un collègue afin de lui permettre d’assurer sa prestation. C’est le cas, par exemple, d’une suite de rendez-vous qui ne pourront pas être traduits uniquement par un seul interprète.

Durant les cours de déontologie, on revient souvent sur cette notion de secret professionnel. Naturellement l’étudiant (naif) pense d’emblée que ce n’est pas compliqué « il suffit de rester bouche cousue ». Bien sûr on a tous compris qu’une fois la réunion qu’on traduisait est finie, on ne se précipite pas sur son téléphone pour appeler un journaliste et lui révéler que X couche avec Y.
Mais d’autres situations sont plus délicates…

Un exemple :
En milieu scolaire l’interprète fait parti de l’équipe pédagogique, il est intégré à la vie de l’école. Durant les pauses, il va fumer une cigarette avec des professeurs derrière le bâtiment, à midi il se rend dans la cantine réservée aux enseignants, il boit des cafés et discute dans la salle des professeurs…
Or il suffit de mettre deux professeurs dans une même pièce pour qu’ils parlent immédiatement de leurs élèves, de leurs cours.

Cependant ils ne sont pas soumis au même code déontologique que nous. De plus, comme nous intervenons dans tous les aspects de la vie scolaire des élèves, nous recueillons beaucoup d’informations (confidentielles) sur eux. Nous traduisons des cours mais aussi des convocations chez le proviseur, une visite médicale, des réunions parents/professeurs, un conseil de discipline…

Et immanquablement, durant leur conversation, les professeurs se tournent vers l’interprète pour savoir comment se débrouille un tel, si celle-là a compris son cours car elle semblait perdue, si la jeune fille a des problèmes personnels actuellement car elle semble moins attentive, pourquoi ce garçon a été absent durant trois jours…
Continuellement sollicitée, il faut néanmoins rester diplomatique et expliquer sans cesse aux moyens de phrases « toutes-faites » que « pourtant vous savez bien que je ne peux rien dire », ou, avec un charmant sourire répondre « motus et bouche cousue » ou encore tenter de s’en sortir avec une habile pirouette.

Il faut donc rester vigilant et c’est d’autant plus difficile que cette vigilance doit surtout s’exercer lors de moments informels tels que les déjeuners ou les pauses, où justement une certaine décontraction s’installe.

Cela est valable dès qu’on est amené à travailler régulièrement avec des équipes de professionnels dans tous les domaines : santé, médico- social, pédagogique, justice…
Par conséquent, étant intégré à une équipe, ne pouvant et ne voulant pas non plus s’isoler dans sa tour d’ivoire et n’en descendre que pour travailler, l’interprète en LSF doit sans cesse jongler avec finesse avec le secret professionnel. Avec gentillesse aussi pour ne pas apparaître comme sectaire, froisser les enseignants (parfois susceptibles) et se couper de tout contact humain. Cette obligation précisée, il peut alors discuter d’autres sujets, par exemple qu’il serait ravi que la professeur de français lui communique sa recette de fondant au chocolat, qui elle, n’est pas confidentielle (ça c’est une des pirouettes dont je vous parlais précédemment).

A suivre : la fidélité

Une réflexion au sujet de « Code éthique (2) : le secret professionnel »

  1. concernant le secret professionnel. Même soucis pour moi ( médecin). Avec une astuce (qui est plus qu’une astuce) empruntée aux collègues psy : toujours ramener la question à l’autre.
    « – alors, interprète, mademoiselle Truc, elle arrivait à suivre? elle avait l’air perdue.
    – qu’est-ce qui vous a donné cette impression?
    – elle avait l’air déconcentrée. vous êtes en première ligne pour savoir à quoi s’en tenir…
    – peut être, mais une chose m’intéresse : vous, en tant qu’enseignant, ça vous fait quoi d’avoir affaire à une déficiente auditive?
    – c’est difficile, mais gratifiant, surtout avec votre présence. encore faut-il que l’élève suive… c’est le cas ?
    – si vous avez des questions, posez les lui, je les traduirais. et pareil si elle a besoin de précisions. c’est mon rôle. »

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